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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/363

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en était donc réduit à prendre le sentiment populaire pour boussole, à gouverner comme il aurait pu le faire s’il n’avait été ni plus prévoyant ni mieux renseigné que le premier contribuable venu.

Au moment où, sur la recommandation du président, le congrès décidait la suppression des taxes intérieures et la réduction de l’armée et de la flotte, le gouvernement américain savait que l’événement en prévision duquel Washington avait voulu doter son pays d’une bonne flotte et d’une bonne armée était sur le point de se réaliser, que la France se préparait à prendre possession de la Louisiane en vertu d’un traité secret conclu à Madrid le 1er octobre 1800, et que de ce changement de voisins, si indifférent en apparence, pouvait naître « une tourmente » assez violente pour bouleverser toute la politique extérieure des États-Unis. On apprit bientôt que l’intendant espagnol de la Louisiane avait brusquement suspendu le droit d’entrepôt à l’embouchure du Mississipi, garanti à l’Union américaine par le cabinet de l’Escurial. A tort ou à raison, le public attribua cette décision à l’influence du gouvernement français, et y vit l’indice que la suppression définitive du droit d’entrepôt entrait dans les vues du premier consul. Les populations de l’ouest, qui regardaient le maintien de ce droit comme la condition même de leur prospérité, manifestèrent la plus vive irritation. Jefferson prit aussitôt dans ses conversations un ton hostile à la France. « Le président est, dit-on, fort intrépide de langage, écrivait Hamilton le 29 décembre 1802. Nous verrons comment on s’y prendra pour faire la guerre sans taxes. Le joli projet de substituer l’économie à l’impôt ne fait plus ici l’affaire. Une guerre serait un terrible commentaire sur l’abandon des revenus intérieurs. Et pourtant comment conserver sa popularité auprès des populations de l’ouest, si l’on sacrifie timidement leurs intérêts? »


II.

Jefferson ne voulait pas lancer à la légère son pays dans les hasards de la guerre, et il avait raison ; mais il désirait attirer l’attention du premier consul sur l’importance que les États-Unis attachaient à ne pas changer de voisins et sur les dangers que leur inimitié pouvait susciter à la France; il prétendait amener le général Bonaparte, sinon à renoncer complètement à la Louisiane, du moins à vendre aux États-Unis la Nouvelle-Orléans et les Florides, dont la possession pouvait seule assurer aux populations de l’ouest la libre navigation du Mississipi. Il avait donc eu tort de désarmer, car désarmer, c’était priver la démocratie américaine de l’un de ses meil-