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comme pendant la mienne, il est sans exemple qu’il l’ait jamais imposée. » Washington n’aurait pas, je crois, reconnu son gouvernement à ce singulier portrait : il n’aurait pas admis que, pendant son administration, le pouvoir exécutif eût été aux mains d’un directoire. Chef responsable de l’état, il n’avait partagé avec personne l’autorité suprême; son cabinet n’avait eu à ses yeux d’autre caractère que celui d’un conseil, conseil fort écouté, mais jamais souverain. Parmi les grands hommes de son ordre, Washington est peut-être celui qui, dans la guerre comme dans la politique, a le plus consulté ses lieutenans avant de se déterminer à l’action, et qui, une fois déterminé, s’est le moins soucié de l’opinion d’autrui et des obstacles. Il n’avait l’esprit ni très prompt ni très inventif; il avait besoin d’un conseil qui lui suggérât des idées entre lesquelles il pût choisir, et c’était après avoir lentement pesé toutes les raisons invoquées en faveur des divers avis qu’il arrêtait le sien avec une sûreté de jugement et une force de volonté incomparables. L’on pourrait au besoin trouver dans les mémoires de Jefferson la preuve que cet avis décisif de Washington n’était pas toujours et nécessairement celui de la majorité; mais qu’importe? Il était décisif, et cela suffit pour faire ressortir l’interversion des rôles que Jefferson avait laissé s’établir entre le pouvoir et ses conseillers.

C’est surtout dans le cours de sa seconde administration que cette interversion des rôles devient sensible. Ce n’est plus le cabinet qui soumet ses idées au président, c’est le président qui soumet ses idées au cabinet, ou plutôt au secrétaire d’état Madison, dont l’influence est évidemment prépondérante dans le gouvernement. Par caractère, Madison n’était pourtant pas un meneur : l’instinct du commandement lui manquait; mais, par sa situation comme par les qualités de son esprit, il avait prise sur son chef naturel. Il était l’héritier présomptif de Jefferson, et à ce titre il avait quelque droit de peser sur la conduite des affaires qu’il devait être bientôt chargé de mener seul à bonne fin. Jefferson lui reconnaissait très volontiers ce droit. Loin de se montrer jaloux de ce ministre, que l’opinion désignait déjà comme son successeur, il semblait plutôt pressé de lui céder la place. Il était rassasié de la présidence. Le pouvoir effectif qu’elle donnait s’était fort amoindri entre ses mains, et ne pouvait plus suffire à racheter, pour un cœur un peu fier, la servitude qu’elle imposait. Lui-même l’a dit, « il était las d’une charge où il ne pouvait faire plus de bien que tant d’autres qui la convoitaient, et où il n’y avait plus rien à gagner pour lui que d’incessans labeurs et des pertes journalières d’amis. »

Parmi les questions qui divisaient ses amis, les plus importantes de toutes étaient les questions de politique étrangère. La sympathie