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mais songé à établir que la couronne d’Angleterre eût juridiction sur les vaisseaux de guerre étrangers. Le commodore Barron refusa nettement d’obtempérer à la demande du capitaine Humphries. Celui-ci insista, et appuyant ses signaux d’abord d’un coup de canon, puis d’un second, enfin d’une bordée, il tua aux Américains trois hommes, en blessa dix-huit, et ravagea le gréement de la frégate. Barron lui-même fut atteint. Les officiers américains firent de vains efforts pour répondre au feu des Anglais; ils réussirent à faire charger les canons, mais ils ne purent les tirer. Manquant de mèches, ils ne parvinrent enfin à mettre le feu à une pièce qu’au moyen d’un charbon embrasé. Après ce simulacre de défense, Barron, la mort dans l’âme, amena son pavillon. Plusieurs officiers anglais montèrent à son bord, passèrent l’équipage en revue, et s’emparèrent des matelots accusés de désertion. Barron fit savoir au commandant du Léopard qu’il se regardait comme son prisonnier; celui-ci répondit qu’ayant rempli ses instructions, il n’avait plus rien à réclamer du commodore, et les officiers anglais se retirèrent avec une impertinente courtoisie, laissant la Chesapeake libre de poursuivre sa route. Peu d’heures après, elle rentrait dans le port de Norfolk, et l’équipage, honteux et indigné, communiquait sa colère au pays.

Lorsqu’une telle insulte a été faite au pavillon d’un grand état et qu’elle n’a pu être vengée sur l’heure, de petites et tardives représailles sont aussi peu dignes que peu prudentes, et à moins d’être résolu à se faire justice par les armes, le gouvernement outragé doit savoir exiger et attendre avec calme les réparations qui lui sont dues. La résolution et le calme manquèrent également à Jefferson après le désagréable accident qu’il n’avait pas su prévenir. Au fond, et sa correspondance en fait foi, il hésitait entre la paix et la guerre, ne sachant que désirer pour son pays et pour lui-même, et voulant laisser au congrès toute la responsabilité du choix ; mais il tenait en même temps à se donner les apparences de la vigueur. Par une proclamation en date du 2 juillet 1807, et pour que l’attentat dont la Chesapeake avait été l’objet n’eût pas l’air de rester un instant impuni, il intima donc aux navires de guerre britanniques l’ordre de sortir des eaux américaines, ordre aussi compromettant que ridicule, aussi empreint de malveillance que d’impuissance, dont l’escadre anglaise ne tint aucun compte, que le président ne fut pas en mesure de faire exécuter, qui inspira à la fois au gouvernement anglais de l’humeur et du mépris, et dont le ministre des affaires étrangères à Londres, M. Canning, se prévalut pour chicaner sur les réparations auxquelles le gouvernement américain pouvait avoir droit, après s’être fait justice à lui-même.

Les États-Unis n’étaient guère plus respectés à Paris qu’à Lon-