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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/443

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prosélytes dans l’île de Tahuata, et encore parmi ceux-ci s’en trouvait-il un seul dont la foi fût sérieuse ou désintéressée ? La difficulté de convertir un chef influent au christianisme contribuait surtout à entraver la propagande catholique. Le roi Iotété se montrait rebelle à toute espèce d’enseignement, et si Maheono, chef de la baie Hanatetena et ikou de M. François de Paule, sympathisait plus volontiers avec les missionnaires, son intelligence sauvage était complètement réfractaire aux dogmes de la doctrine chrétienne, et sa conversion devenait de jour en jour plus problématique. Nos compatriotes nous firent les honneurs de leur petite maison avec une touchante cordialité, et la causerie pleine de charme du supérieur de la mission nous fit comprendre de quelle utilité, de quel agrément allait être pour ceux de nos camarades destinés à habiter le pays la fréquentation de cet homme éminent, déjà familiarisé avec la langue et les mœurs polynésiennes.

Notre seconde visite fut pour Iotété. Des missionnaires anglais avaient précédé les nôtres à Tahuata ; mais, convaincus de l’inutilité de leurs efforts et souvent en butte aux mauvais traitemens des insulaires, ils s’étaient décidés à quitter l’île, où ils avaient abandonné une assez grande quantité de bestiaux, des bœufs, des vaches et des chèvres. Agissant à peu près alors comme le bernard-l’hermite, ce parasite des grèves polynésiennes, qui revêt la carapace du premier coquillage venu après en avoir délogé le propriétaire, le roi s’était emparé de leur habitation, où il demeurait avec sa famille. Cette maison, située au sud de l’anse, dans un enclos bien ombragé, était construite en planches et bâtie avec soin. Son aspect riant, l’arrangement du petit jardin planté d’arbres exotiques, ou assez rares dans l’archipel, décelaient cet amour de l’ordre et du comfort que les Anglais traînent à leur suite sur les terres les plus disgraciées. Quand nous y arrivâmes, le roi, sa famille et quelques autres individus accroupis à l’ombre d’un oranger, formaient le cercle autour d’une jatte de bois remplie de popoï. Les convives plongeaient tour à tour l’index et le médium réunis dans ce mets qui avait l’apparence des sorbets à l’abricot. Chacun d’eux en ingurgitait des quantités énormes. Quoique nous fussions nombreux, notre arrivée n’apporta ni distraction ni gêne dans l’acte important auquel les canaques se livraient en toute conscience. Quelques-uns nous regardèrent par-dessus l’épaule en grognant, d’autres jetèrent une exclamation entre deux hoquets ronflans, sans que pour cela les doigts qui descendaient au baquet et remontaient à la bouche cessassent d’accomplir leur mouvement mécanique de va-et-vient. Quant à Iotété, il nous tendit la main à l’anglaise, et nous invita par gestes à nous asseoir sur le gazon et à partager son repas. Cette