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pâte jaune et fraîche aurait pu nous paraître assez appétissante, si nous n’avions été témoins de la manière dont procédaient les assistans. La popoï gardait non-seulement l’empreinte de leurs doigts comme un vaste pot de pommade, mais en outre elle baignait dans une eau destinée à entretenir sa fraîcheur, et les convives, y puisant avec leur main à demi fermée en guise de coupe, buvaient au-dessus du plat, afin de n’en rien perdre. En dépit de ces particularités peu propres à stimuler la gourmandise, les instances du roi pour nous faire goûter à la popoï furent si vives, que moitié pour lui complaire, moitié par curiosité, nous plongeâmes nos doigts dans le baquet, et nous les portâmes avec défiance à nos lèvres. Ce mets, qui par la saveur et l’aspect a beaucoup de rapport avec les nèfles, possède deux qualités précieuses dans un pays chaud : une grande fraîcheur et une légère acidité. Voici comment se prépare cette pâte végétale, qui est à peu près la seule nourriture des Polynésiens. Les fruits des meis ou arbres à pain, cueillis à l’époque de la maturité, sont placés sur un feu violent qui les rôtit à l’extérieur. Dès que la cuisson est arrivée à terme, on dépouille, au moyen d’une coquille rendue tranchante par le frottement, chaque fruit de son écorce calcinée, et l’on dépose la pulpe, blanche, tendre, spongieuse et assez semblable pour le goût au fond de l’artichaut ou à la châtaigne, dans une jatte de bois. Cette pulpe, broyée sous un pilon de pierre et arrosée d’eau pendant toute la durée de l’opération, forme une bouillie que l’on enterre dans des fosses préalablement revêtues de larges feuilles de ti. Un travail de fermentation s’accomplit au bout d’un certain temps, et c’est cette pâte fermentée qui, triturée encore et saturée d’eau, prend le nom de popoï. Divers autres ingrédiens, tels que la patate douce, le taro, la banane, l’amande râpée des noix de cocos, sont parfois aussi mêlés à la seconde préparation de la popoï; mais on mange le plus souvent à part ces divers fruits ou légumes. On servit encore au milieu du cercle un vase contenant des petits poissons crus, qui me semblèrent réservés aux convives de distinction. Un petit nombre d’élus seulement y touchèrent, et les avalèrent après les avoir plongés dans la popoï.

Le repas terminé, le roi nous précéda dans sa demeure, dont il nous fit admirer avec orgueil la disposition et les ornemens. L’ancienne maison des missionnaires anglais se composait de trois pièces séparées par des cloisons. La première servait de salon ou plutôt de salle d’armes. Deux bancs grossiers, une table boiteuse en composaient tout l’ameublement. Contre la cloison principale se trouvait un râtelier supportant une douzaine de fusils anglais, fort lourds et en assez mauvais état. Des coiffures en plumes, hautes d’un mètre, d’é-