Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

normes paquets de chevelures frisées au feu, des colliers de dents de porc, de cachalot et d’ongles humains, des barbes blanches ou grises de vieillards, plusieurs autres ornemens bizarres des jours de fête, étaient pendus çà et là contre les parois intérieures. Dans l’une des chambres voisines, on voyait pêle-mêle, sur de longues étagères, les grossiers ustensiles de ménage, des courges obèses et rouges de différentes formes, des instrumens de pêche, des lignes aux hameçons de nacre de perle. L’autre pièce avait été convertie en chambre à coucher. Quelques nattes grossières étendues sur le sol, quelques pièces de tapa[1] roulées, y servaient de lit et de traversins. C’était là tout le comfortable de cet homme dont la volonté avait force de loi, car il pouvait d’un geste faire assommer le premier venu de ses sujets, et lancer au gré de son caprice cinquante pirogues de guerre sur les îles voisines pour y porter le carnage et l’incendie. La nuit vint pendant notre visite. Des noix huileuses, réunies sur des bâtons d’une extrême ténuité, servirent de luminaires. Chacune des noix brûlait séparément, et répandait, à défaut de clarté, une fumée épaisse et noirâtre. A mesure qu’une nouvelle noix s’enflammait, on secouait dans une coupe de coco celle qui venait d’être réduite en cendre.

Malgré le séduisant tableau qui nous avait charmés dès nos premiers pas, nous n’avons jamais éprouvé dans aucun pays le malaise, la tristesse et la vague inquiétude qui nous vinrent au cœur en regagnant la frégate après cette journée passée à terre. De retour à bord, nous étions mornes et silencieux. Les uns songeaient déjà aux ennuis mortels d’un séjour de plusieurs années sur cette plage sans ressources; l’aspect seul du paysage par une nuit sombre suffisait pour émouvoir tristement les autres. En effet, la vue se heurtait partout contre une haute et noire muraille de montagnes, du faîte de laquelle descendaient de violentes rafales qui sifilaient et grondaient dans le gréement. A l’entrée de la rade, seul côté que n’obstruât point cette terre indifférente, le regard s’étendait vers la mer si infinie, que la pensée découragée n’y cherchait plus la patrie, et n’osait même plus demander à l’illusion ses consolans mirages.


II.

Si cette impression des premiers instans se modifia plus tard en visitant les vallées, il est incontestable que l’aspect général du pays même sous le point de vue le plus favorable, c’est-à-dire du côté de la baie de Vaïtahu, fait presque toujours éprouver à l’Européen le

  1. Étoffe du pays, couleur de parchemin.