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vertes de nattes grossières, forme un vaste lit de repos, sur lequel s’étendent pêle-mêle les hommes, les femmes et les enfans; une seconde poutre, placée parallèlement à la première, à la base de la cloison postérieure de la case, sert d’oreiller aux dormeurs. On voit çà et là suspendus aux parois, hors de l’atteinte des rats, qui sont nombreux dans l’île, des paquets d’étoffe de tapa, des coiffures en plume, et des ornemens semblables à des hausse-cols couverts de petits pois écarlates. Des fusils qui n’attendent que l’occasion de crever entre les mains qui s’en servent, des bâtons terminés par une baïonnette, composent ordinairement l’arsenal des insulaires, les armes indigènes n’étant aujourd’hui fabriquées dans cette baie que pour être vendues aux amateurs de couleur locale.

Le roi Iotété possédait deux cases à Vaïtahu, sans compter l’habitation des missionnaires anglais. Celle-ci n’était pour lui qu’une demeure de luxe. Il s’en servait, mais ne l’avouait pas ouvertement comme sienne. Les deux autres avaient chacune leur destination spéciale. L’une était la véritable habitation du roi, l’autre servait de salle à manger, quand on ajoutait à la popoï quotidienne des mets d’un usage plus rare, comme le porc rôti, et quand on buvait le kava[1]. Un plancher élevé sur des poteaux à quatre mètres du sol, et abrité par un toit, formait toute la construction de cet édifice, qui n’avait point de cloisons latérales, mais seulement un garde-fou à hauteur d’appui. Une poutre mobile profondément entaillée servait d’échelle pour y monter. Ce hangar était tapu (sacré). Au milieu de l’anse, entre le rivage et la maison des missionnaires, plusieurs cases formaient par leur disposition une place rectangulaire. Sur l’un des côtés demeurait un tahua (prêtre) vieux et vénéré. Nul ne pouvait franchir le seuil de sa demeure; plusieurs fois nous essayâmes d’y pénétrer, notre curiosité échoua toujours contre l’inflexible défense du tahua, qui, chaque fois que nous nous préparions à escalader la plate-forme, nous criait de sa voix chevrotante: Tapu ! — mot tout-puissant, qui résume la loi civile et religieuse dans les Marquises. La présence de deux idoles sur la plate-forme ne contribuait pas peu sans doute à donner de l’importance au tahua et à environner de prestige son habitation. Ces deux figures étaient sculptées avec une grande naïveté. Une tête démesurée formait à elle seule le tiers de la hauteur totale. Les traits de la face, d’un relief peu saillant, étaient plutôt indiqués que sculptés. Les bras courts se terminaient en fourchettes dont les pointes se rejoignaient avec peine sur l’abdomen. L’une de ces idoles portait un turban d’étoffe indigène et un collier composé de dents de porc

  1. Boisson enivrante faite avec la racine mâchée du peper metysticum.