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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/448

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et d’ongles humains alternativement enfilés. Elles étaient placées toutes deux entre des faisceaux symboliques de roseaux revêtus d’amarrages compliqués à l’entrée d’une espèce de cage haute et pointue, où le tahua emmagasinait les offrandes déposées par les insulaires sur la plate-forme. — A l’ouverture de la place et au bord de l’eau se trouvait une caronade sans affût rongée par la rouille.

Iotété, fidèle à sa promesse, s’était occupé de rechercher un terrain convenable pour notre établissement. Deux jours après notre arrivée, il désigna un espace situé sur une hauteur voisine de la montagne qui sépare Vaïtahu d’Anamiaï. Ce lieu fut trouvé favorable. On pouvait en effet, moyennant certains travaux dont l’exécution semblait facile, le défendre en cas d’une attaque inopinée des indigènes. Le voisinage d’une source qui filtrait entre les roches à la base de la montagne ajoutait encore aux avantages de l’emplacement. Il fut donc décidé que le lendemain, 1er mai, une division de la compagnie supplémentaire quitterait la frégate pour camper à l’abri de tentes provisoires sur le terrain concédé par le roi, et qu’on mettrait activement en œuvre les ressources et le nombreux personnel du navire pour que, dans le plus bref délai possible, notre petite colonie militaire pût jouir, sinon de quelque bien-être, au moins d’un sort supportable. On avait déjà pris à cet effet quelques précautions, qui semblèrent bien restreintes quand on eut constaté la difficulté de trouver dans l’île les élémens de construction les plus indispensables, c’est-à-dire la chaux et le bois[1]. On s’était procuré au Chili du bois de charpente, malheureusement en trop petite quantité. Ce bois avait été employé durant la traversée à former les carcasses de deux maisons qui pouvaient être immédiatement dressées. L’une devait abriter nos soldats, l’autre servir de magasin pour les vivres. Un four de campagne assurait en outre à la garnison le pain quotidien; enfin les vivres ordinaires de la frégate devaient compléter dans le principe un régime alimentaire qu’on espérait pouvoir améliorer par la culture des légumes. Cet espoir était fondé, le sol et le climat ne s’étant pas montrés contraires à certaines graminées ensemencées par nos missionnaires.

Depuis notre arrivée, la dévorante ardeur du soleil nous avait tourmentés sans trêve pendant le jour; mais le soir une fraîche brise descendait de la montagne, et tempérait la chaleur que l’astre torride avait laissée dans la baie. Le 1er mai, dès le matin, des nuages épais et cotonneux enveloppaient les hautes cimes et abaissaient vers nous leurs flots de ouate. Une chaleur lourde, humide, étouf-

  1. Des arbres qui servent à l’alimentation des indigènes, comme le cocotier et le meï (artocarpus), sont à peu près les seuls qu’on puisse utiliser pour les constructions.