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de Tahuata, est en général rachitique et malingre; les arbres puissans ne croissent guère que dans les endroits où la terre, plus profonde, laisse un libre développement à leurs racines. La vallée de Vaïtahu, plus fertile et plus habitée que celle d’Anamiaï, court obliquement vers la montagne. Sa longueur est d’environ trois milles; mais la pente et les difficultés du terrain peuvent abuser celui qui la parcourt sur ses dimensions réelles. Voici à quelle occasion nous la visitâmes.

Assis un jour près de cette plate-forme du grand-prêtre, où s’élevaient les deux tikis[1] dont nous avons parlé, nous interrogions, avec l’aide d’un interprète, les insulaires, pour connaître la mesure du respect voué communément chez eux aux emblèmes extérieurs du culte. L’irrévérence de leurs réponses, le peu de souci qu’ils semblaient prendre des idoles voisines, au pied desquelles on voyait néanmoins une récente offrande de fruits à pain et de cocos, concordaient assez mal avec la rigide observance de toute loi qui leur était imposée au nom de la religion. Nous voulûmes avoir le mot de cette anomalie, et nous apprîmes que les tikis voisins étaient les images d’atuas subalternes, la canaille en quelque sorte de la théogonie polynésienne; mais au fond de la vallée, loin de toute demeure, une gorge solitaire, où nul intérêt de circulation ne pouvait conduire les canaques, recelait, ajouta-t-on, les tikis d’atuas terribles dont nul n’affrontait jamais impunément le courroux.

Le sacristain de la mission se souvint en effet que, tout au fond de la vallée de Vaïtahu, il existait un petit fourré dont les insulaires n’approchaient qu’avec inquiétude. Souvent même, dans ses promenades, il avait vu les indigènes qui l’accompagnaient faire un long circuit pour éviter l’endroit mystérieux, et quand il avait voulu en connaître le motif, on s’était borné à lui répondre par ces mots : Tapu ! mate ! mate! qu’on peut traduire par défendu sous peine de mort. Or, comme la puissance des lupus sans nombre auxquels sont soumis les indigènes n’atteint guère les étrangers, notre compatriote voulut bien essayer de retrouver avec nous ce lucus redoutable, sanctuaire présumé du tiki des grands atuas. Nous prîmes donc rendez-vous pour le lendemain, et, vers huit heures du matin, je me rendis à la mission en compagnie du chirurgien-major de la frégate. Notre guide était prêt, nous partîmes. Une plante fort commune dans cette partie de l’île, et assez semblable au basilic, imprégnait l’air d’une senteur que l’humidité du matin rendait encore plus pénétrante. Les arbres et les fleurs tressaillaient sous les caresses du soleil, et du fond des ramées s’échappaient

  1. Tiki, dieu, idole.