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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/468

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ploie ses branches horizontales, feuillues, impénétrables au soleil, et couvre une circonférence de 50 mètres de rayon. Le tronc de cet arbre, que forme un épais faisceau de tiges entrelacées, ne mesure pas moins de 25 mètres de tour. Tout un peuple turbulent d’oiseaux hante cet abri séculaire. Les colombes aux ailes vertes, à la gorge écarlate, la tête crânement ornée d’un fez du plus pur carmin, des perruches semblables à un ingénieux ouvrage d’émail où on aurait serti des turquoises, des saphirs et des aigues-marines, pour en former un corps d’oiseau monté sur des pattes de corail ; des moucherolles familiers, noirs et jaunes comme les guêpes, des mouettes au vol agile, blanches et légères comme un duvet, volaient, piaillaient, sifflaient, remplissaient de joie cet asile fortuné, jusqu’au jour où la bande avide des collectionneurs fit sans pitié pleuvoir sur l’herbe, comme des fruits lumineux, les charmans petits hôtes de ce bosquet dont un sauvage se fut bien gardé de troubler la quiétude. On en fit un vrai massacre. Aussi, quand un mois plus tard nous venions près des eaux murmurantes, sous le dôme gigantesque du banian, chercher un refuge contre les dévorantes ardeurs de midi, nous y trouvions des moustiques sans nombre, mais fort peu d’oiseaux. Ceux qu’avait épargnés la fusillade avaient fui l’asile violé.

C’est particulièrement ce côté nord de la baie que la végétation envahit, active et puissante. De toutes parts se dressent des arbrisseaux armés d’épines, d’épais halliers, des massifs ténébreux. Les hauts baringtonias et les hibiscus étalent des fleurs blanches et jaunes comme un trésor de sequins et de piastres parsemés dans leur verdure. Le gardénia, criblé d’étoiles odorantes, y traîne jusqu’à terre ses rameaux et son feuillage de faïence verte, et le passant croit sentir des bouches invisibles lui souffler leur haleine de tubéreuse, tiède et violente à enivrer. Des arbres plus communs, les ihis, les mûriers, se rassemblent en taillis compacts, les meïs s’étalent à L’aise sur de larges terrains où ils forment des futaies ; les cocotiers, en nombre considérable, surgissent de partout, et au moindre souffle de la brise balancent leur panache vert et entre-choquent leurs fruits à l’extrémité d’une tige argentée, qui d’un seul jet s’élance, ondulant parfois, ainsi qu’un serpenteau d’artifice, jusqu’à soixante ou quatre-vingts pieds du sol. Plusieurs petits sentiers, indiqués par l’usage à travers les buissons hargneux, se dirigent de ce point vers les différentes vallées. Les cases indigènes sont aussi plus nombreuses en cet endroit, sans être néanmoins réunies en village. Construites à peu près toutes sur le même modèle, mais tournées selon le caprice du propriétaire, d’assez grandes distances les séparent les unes des autres. La maison