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de Te-Moana, placée au nord-ouest de la baie, a été bâtie par l’équipage de je ne sais plus quel navire. C’est une maçonnerie dont la façade est percée d’une porte et de deux lucarnes. Le mât de pavillon dressé à côté lui donne un air de famille avec ces petits postes qui, sur nos côtes, servent d’abri aux douaniers. On trouvait à l’intérieur pour tout mobilier une table et deux escabelles grossières. Des nattes servaient de lit, des tapas roulées de traversin. Dans un coin, bon nombre de bouteilles vides attestaient les habitudes du maître de ce logis. Puis on voyait accrochés à la cloison des oripeaux et la défroque européenne du chef : c’était tout. En continuant à marcher vers l’ouest à partir de cette demeure, la végétation s’éclaircit au rivage. Là cessent aussi les cases. On ne rencontre plus que de mauvais hangars abritant des pirogues de toutes les tailles. La longueur de celles qui sont à sec sur la grève varie entre 4 et 6 mètres. Creusées dans un seul tronc d’arbre, celles-ci sont tellement étroites que l’équipage s’assoit en même temps sur les deux bords; les extrémités dominent à peine l’eau. On peut y entrer jusqu’à mi-jambe. Deux traverses, comme on en pourrait faire passer entre les tollets, à l’avant et à l’arrière d’un canot, soutiennent une pièce de bois qui, formant un balancier parallèle, projeté à 1 mètre 1/2 environ du corps de l’embarcation, plonge et donne au frêle esquif la stabilité désirable. Quelques-unes de ces pirogues, destinées aux expéditions guerrières, ont au moins 10 ou 12 mètres de longueur. Leurs flancs sont alors exhaussés par de fins bordages que joignent avec une extrême solidité d’habiles amarrages en tresses. Deux sièges, placés l’un à la poupe, l’autre à la proue, dominent les lisses. À ces deux places réservées s’assoient le chef des guerriers et le pilote qui dirige la flottille. Les pagayeurs, unissant avec ensemble l’effort de la pelle en bois dont ils sont armés, impriment une grande vitesse à ces embarcations; mais la hauteur des bords est si petite qu’une partie de l’équipage s’occupe constamment à en vider l’eau. Nous avons trouvé dans plusieurs pirogues des figures qui, dans les grandes circonstances, doivent être portées par les chefs ou amarrées à la proue. Ces figures sont sculptées à l’extrémité d’une sorte de marotte, dont le pied est terminé par un médaillon. La tête de l’idole et le relief du médaillon représentent invariablement le type adopté pour tous les tikis. Seulement, loin d’avoir la dignité qu’on est en droit d’attendre de divinités protectrices, ces fétiches se permettent un geste obscène dont le but me semble inexplicable, si ce n’est de narguer l’ennemi. Voisine de cet arsenal maritime, une petite anse sablonneuse s’ouvre parmi les rochers, dont rien ensuite n’interrompt la chaîne jusqu’à l’extrême pointe de la côte ouest.