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laissa muet et confondu le jour où j’appris qu’Adolphe C... était entré au monastère de la Trappe. De tous les êtres humains que j’ai connus, celui-là était certainement le moins disposé par la nature à recevoir les visites de la grâce divine. J’eus beau me répéter pendant plusieurs jours la parole de l’Écriture : L’esprit souffle où il veut, je ne pus parvenir à comprendre pourquoi il avait eu la volonté de souffler à travers cette absurde cervelle. Sans doute un miracle avait été nécessaire à un moment donné, et lui, indigne, avait été choisi pour être l’instrument de ce miracle? Certainement cette conversion inattendue était une preuve nouvelle et irrécusable que la clémence de Dieu est aussi infinie que sa puissance; mais cette explication étant admise, il m’était encore fort difficile de comprendre comment l’esprit avait pu pénétrer dans cette âme, par quel coin, par quelle fente, par quelle fissure. Cette âme était si bien matelassée de ses propres vices, qu’il semblait impossible de la pénétrer. Il n’avait aucun de ces vices ardens et de ces mouvemens pleins de violence qui, par leur excès, sont quelquefois l’instrument de rédemption des âmes perverses qu’ils tyrannisent, et c’est précisément par cela même que sa damnation semblait irrévocable. Il n’avait que des vices mous, plats, abjects, horribles à contempler comme les organes visqueux des créatures inférieures. De notre vie nous n’avons connu quelqu’un qui nous ait fait aussi clairement comprendre la vérité de cet axiome ferme et attristant d’Aristote, contre lequel le cœur se révolte, mais que la froide raison est obligée d’admettre : il y a deux sortes de natures, la nature libre et la nature esclave, et toutes les constitutions du monde ne peuvent rien changer à cet inexorable fait. Lui, il appartenait essentiellement à la nature esclave; il était né serf, parasite et bouffon. Au bout d’un commerce d’une demi-heure avec lui, on songeait inévitablement au grand fouet des planteurs, à la chaîne servile et aux carcans de fer. Oh! l’aimable et l’intéressant personnage! avec quelles amusantes grimaces il vous remerciait des cigares que vous vouliez bien lui jeter! De quelles inepties bouffonnes il payait sors écot aux déjeuners et aux soupers auxquels il était invité! Et comme il était à son aise dans le rôle que la nature lui avait donné à jouer! Sa bassesse était véritablement exquise, car elle était exempte de ces fausses hontes, de cette humilité timide ou de cette arrogance; effrontée qui distingue les âmes viles et qui se sentent telles. Il était vil comme le rossignol est mélodieux, naïvement, et cette naïveté prêtait à ses vices un attrait bouffon qui faisait tout excuser. Il était impossible de songer à se scandaliser en le voyant si sûr et si satisfait de lui-même, si tranquille et de si heureuse humeur. Comme il était adroit et savait bien se faire accepter! Flatteur, sans être rampant, familier sans être importun, il savait respecter vos bonnes