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que je dépeignais. La réaction se déployait victorieusement depuis six ans et s’était personnifiée dans deux princes, le roi Ferdinand Ier et le roi François Ier, dont le gouvernement était un mélange de violence, de faiblesse, de duplicité et de corruption. La révolution de 1820 avait passé comme un mauvais rêve pour ces deux princes, qui avaient juré la constitution et qui poursuivaient de leur mieux les constitutionnels. L’armée nationale était dissoute, et la restauration du pouvoir absolu restait placée uniquement sous la sauvegarde de la force autrichienne. Le prince Canosa, un moment éclipsé par la révolution, était redevenu le fougueux ministre de la réaction napolitaine, qui marchait hardiment à son but, procédant par les exils, les emprisonnemens et une sorte d’épuration arbitraire du royaume ; on avait compté un moment plus de cent mille suspects ! Le vieux roi Ferdinand laissait tout faire, et vivait en bonne amitié avec les lazzaroni. Sous François Ier, qui succédait à son père en 1825, c’était bien pis encore. La vénalité et la corruption étaient partout : dans la police, dans l’administration, dans la distribution de la justice, à la cour elle-même, surtout à la cour. Tout se vendait, les premiers emplois de l’état, les grâces et les faveurs. Un des familiers du roi, le valet de chambre Viglia, était le négociateur principal de ces marchés. Pour 30,000 ducats, il avait fait un jour un ministre des finances, et avait amassé une immense fortune. Ce Viglia, qui faisait des ministres en faisant la barbe au roi, ne savait ni écrire, ni lire, selon une règle appliquée à la domesticité de la cour de Naples, qui croyait mettre ainsi ses secrets à l’abri des indiscrétions.

Ces excès de la réaction napolitaine ne sont nullement une fiction révolutionnaire. La diplomatie française de la restauration les suivait d’un œil vigilant, et elle signalait avec tristesse « la faiblesse du gouvernement napolitain, les fautes que l’on entassait à Naples, la nullité de tous, les frayeurs du roi. » Chateaubriand, ambassadeur à Rome, écrivait en 1829 : « Il est malheureusement trop vrai que le gouvernement des Deux-Siciles est tombé au dernier degré du mépris. La manière dont la cour vit au milieu de ses gardes, toujours tremblante, toujours poursuivie par les fantômes de la peur, n’offrant pour tout spectacle que des chasses ruineuses et des gibets, contribue de plus en plus, dans ce pays, à avilir la royauté… » Voilà ce que six ans de réaction avaient fait de Naples, et par un contre-coup naturel l’agitation avait recommencé ; l’insurrection avait éclaté de nouveau dans les montagnes du Cilento, pour être étouffée encore une fois dans le sang. Entre la réaction et les conspirations, la lutte n’était qu’assoupie au moment où François Ier s’éteignait, assiégé de terreurs et laissant un royaume exténué. C’était le 8 novembre 1830, au lendemain de la révolution