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mais la magnificence du feuillage et le groupement pittoresque des arbres les rendent incomparablement plus beaux. Quand on se promène à cheval de clairière en clairière, en suivant les allées ombreuses, le spectacle varie sans cesse, et chaque nouvelle échappée offre au regard un nouveau paysage. Les chênes, les érables, les frênes, les magnolias, les copals, les saules, les peupliers de la Virginie, sont groupés en massifs distincts, comme pour obéir à de secrètes sympathies ; les lataniers étalent autour des troncs leurs larges feuilles en éventail, et les grosses lianes des socos ou raisins sauvages se balancent entre les arbres comme des câbles suspendus entre deux mâts. Ces lianes ne forment point, comme celles des forêts de l’Amérique du Sud, des réseaux de cordages inextricables ; mais elles sont fortes et peu nombreuses, si bien que les petits nègres s’en servent comme d’escarpolettes, et que les chevaux peuvent les franchir d’un bond. Partout on peut se promener sans crainte, si ce n’est dans les allées où les acacias trioschantos entre-croisent leurs branches garnies de triples épines, et dans les fourrés où les cannes sauvages forment une muraille à travers laquelle les serpens seuls peuvent se glisser.

Les bois sont particulièrement beaux pendant l’automne, quand les feuilles brillent de leurs splendides couleurs : dans cette saison, les arbres d’Europe prennent une teinte uniformément jaune ou rouge-brun ; mais les arbres d’Amérique se revêtent des couleurs les plus hardies et les plus magnifiques, violet, pourpre, orangé, jaune d’or, sans doute parce que la température du nouveau continent est plus extrême que celle de l’ancien, et par conséquent active ou retarde plus énergiquement l’élaboration des sucs colorans. Toute la forêt semble recouverte d’un magnifique manteau de fleurs éclatantes, et si quelque arbre encore vert s’élève au milieu du feuillage pourpre ou doré, des guirlandes de bignonias s’enroulent autour de lui, et du haut de ses branches laissent tomber leurs fleurs en nappes et en cascades.

Enfin, à 3 ou 4 kilomètres du bord du Mississipi, le sol devient tout à fait bas et spongieux, et le cypre domine à l’exclusion de tous les autres arbres. Le cypre est droit, élancé, renflé à la base comme une bulbe d’oignon ; il s’appuie sur des contre-forts durs et solides qui jaillissent du sommet de la racine comme pour mieux s’ancrer dans le sol vaseux. Au pied de l’arbre, dans les flaques d’eau qui en baignent la base renflée, de petits cônes de bois, semblables à d’énormes poignards dressés contrôle ciel, s’élèvent hors de l’eau bourbeuse : ce sont autant de racines aspiratrices qui sortent du tronc souterrain et vont absorber l’air ; sans elles, il n’y aurait point de communication entre les maîtresses racines et l’atmosphère, et