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d’or, que le maître, contre tous les usages, devait payer à l’élève. Ce contrat est daté du 1er avril 1489. Michel-Ange n’avait par conséquent que quatorze ans.

C’est dans cette charmante église de Santa-Maria-Novella, qu’il nommait plus tard « sa fiancée, » que Michel-Ange put se livrer pour la première fois sans réserve, sous la direction d’un des artistes les plus célèbres de l’époque, à son goût pour la peinture. Ses progrès furent si rapides, que, peu de temps après son entrée dans l’atelier, Ghirlandajo disait de lui : « Ce jeune homme en sait plus que moi. » Et, s’il faut en croire Condivi, ce n’était pas sans jalousie qu’il le voyait corriger d’une main sûre ses propres dessins et ceux de ses meilleurs élèves.

Faut-il attribuer cependant à un enfant de quinze ans, ainsi que le font M. Harford[1] et l’auteur d’un excellent article du Quarterly Review[2], l’admirable peinture a tempera qui faisait naguère le plus bel ornement de l’exposition de Manchester? La précocité bien établie du génie de Michel-Ange suffit-elle pour expliquer tant de science et de maturité? J’avoue que je ne puis l’accorder. Cette peinture n’est certainement pas de Domenico Ghirlandajo, comme on l’a cru jusqu’ici. Je ne mets pas en question l’authenticité, qui est évidente. Sans parler de la largeur de la composition et du dessin, du caractère de la tête de la Vierge, de l’incomparable beauté des anges qui se trouvent à droite, de certaines habitudes que Michel-Ange ne perdit jamais, comme de faire les pieds trop petits par un raffinement d’élégance et de donner à ses enfans ces nez retroussés et un peu faunesques qu’on retrouve dans la Sixtine, il suffirait pour l’attester de remarquer l’évidente parenté qui existe entre cet ouvrage et la Vierge de la chapelle des Médicis. Ce qui me paraît probable, c’est que ce tableau ne fut exécuté que lorsque Michel-Ange fut sorti de l’atelier, qu’il eut fortifié son goût et son talent par l’étude des fresques de Masaccio et des antiques des jardins de Saint-Marc, entre 1492 et 1495, pendant ces années de première jeunesse qui durent être fécondes, et sur lesquelles les biographes nous ont laissé si peu de renseignemens.

Michel-Ange n’acheva pas son apprentissage chez Ghirlandajo. Depuis la mort de Ghiberti et de Donatello, la sculpture n’avait plus aucun représentant distingué à Florence. Laurent de Médicis désirait la relever; il avait réuni dans ses jardins de la place Saint-Marc un grand nombre de statues et de fragmens antiques, et il y avait formé une école de dessin sous la direction de Bertoldo, disciple de Donatello. Il avait demandé des élèves aux peintres les plus célèbres de Florence. Ghirlandajo lui envoya Michel-Ange et Granacci. C’est là que Michel-Ange sculpta cette tête de faune dont l’histoire est connue, et qui lui valut la protection de Laurent. Florence brillait alors d’un éclat suprême. Aux Dante, aux Giotto, aux Orgagna, avaient succédé les Pétrarque, les Brunelleschi, les Donatello, les Ghiberti, les Masaccio. Cette seconde génération venait à peine de s’éteindre, laissant Florence pleine de chefs-d’œuvre. Laurent de Médicis

  1. Life of Michael Angelo, vol. Ier, p. 13.
  2. Avril 1858, p. 449.