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ainsi dire de biens-fonds en biens-fonds, suivant pas à pas le roturier pour l’accabler. Le caractère d’un impôt foncier attaché à la qualité de la personne fit illusion, et l’on vit la taille réelle devenir en Berry taille personnelle. À l’inégalité joignez l’arbitraire. Les cadastres, fabriqués à la hâte par de fausses déclarations sur des bases incertaines, avaient amené dans les cotes des surcharges si fortes, que le produit de certaines terres ne suffisait point à payer l’impôt, — en Guienne, par exemple, vers 1780. Dans les pays d’états[1], l’impôt foncier jouissait d’une meilleure réputation ; mais dans les pays d’états comme dans les pays d’élection, le gouvernement prenait en outre le dixième, plus tard le vingtième de tous les revenus des propriétaires. Jugez alors, en présence d’un impôt qui croissait dans le plus grand désordre, et qui n’était réglé que par le hasard ou l’injustice, si la distinction entre la propriété et le travail, la rente foncière et le bénéfice d’exploitation, pouvait être connue et appliquée. Aujourd’hui l’impôt foncier est assis sur le revenu net des propriétés bâties et non bâties : il a conquis la terre privilégiée, il règne également sur toutes les parties du territoire. Une évaluation presque régulière de la matière imposable a succédé à des appréciations erronées, à des distinctions iniques ; on ne voit plus l’impôt, après avoir dévoré la rente du propriétaire, attaquer le revenu du fermier. Il ne faudrait pourtant point soutenir que l’impôt foncier n’exerce aucune action sur la production agricole. L’agriculture est une industrie qui, comme toutes les industries, vit de capitaux. Si l’impôt foncier empêche les capitaux de se former entre les mains de ceux qui ont intérêt à les faire entrer dans la culture, n’est-il pas évident que l’impôt réagit sur la culture ? Moins la culture est avancée, plus les capitaux sont nécessaires, plus l’impôt foncier semble lourd. Il en était ainsi dans la France du XVIIIe siècle, pays de petite propriété et de métayage. Il est clair que le propriétaire engagé dans une exploitation soit par lui-même, soit avec un métayer, ne peut être frappé dans son revenu de propriétaire sans être touché dans son avenir d’industriel. Lors même que le bail à ferme prend la place du métayage et sépare nettement les intérêts du propriétaire et du fermier, on peut encore affirmer qu’en enlevant aux propriétaires une partie de leurs capitaux, l’état fait perdre au sol l’occasion de s’améliorer et à la nation l’occasion de s’enrichir.

Une autre partie des contributions directes soulève de la part des populations rurales des plaintes encore plus énergiques : je veux parler de l’enregistrement. L’impôt sur les mutations immobilières repose

  1. Les pays d’états votaient l’impôt qu’ils devaient payer, et en faisaient la répartition. Dans les pays d’élection au contraire, l’impôt était décrété par le roi et réparti par les fonctionnaires royaux.