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19 sous en 1789, est monté en 1859 à 1 franc 50 centimes. Une augmentation d’environ 55 centimes dans le prix moyen du salaire agricole aurait dû entraîner une hausse proportionnelle dans le prix des objets nécessaires à la vie : il n’en a rien été. La valeur des objets fabriqués a sensiblement baissé, et la valeur des substances alimentaires, du pain et de la viande surtout, ne s’est point élevée. Les progrès de l’agriculture expliquent ce dernier fait. Mieux cultivée, la terre a produit davantage, et ce surplus a suffi non-seulement pour payer les efforts, rembourser les avances et grossir les bénéfices du cultivateur, mais encore pour satisfaire aux besoins d’une population toujours croissante. En un mot, le mouvement de la production a suivi le mouvement de la consommation, et l’équilibre entre les prix de 1789 et de 1859 s’est maintenu. Comment expliquer néanmoins la hausse dans le taux moyen du salaire agricole, alors que les objets fabriqués ont baissé leurs prix, et que les substances alimentaires ont conservé les leurs ? Le taux des salaires ne se règle-t-il pas sur les dépenses obligatoires de l’ouvrier ? On répond en invoquant la loi de l’offre et de la demande. De 1789 à 1859, la population de la France s’est accrue d’environ 10 millions d’habitans ; or ce sont les villes, et non les campagnes, qui ont recueilli presque tout cet excédant. Comme la consommation s’étendait sans cesse et que les instrumens de production restaient à peu près les mêmes, ces instrumens prirent nécessairement une plus grande valeur. Le travailleur agricole fut mieux payé, et la rareté des bras fit peu à peu hausser les salaires sans que cette hausse exerçât sur le prix des objets nécessaires à la vie son action ordinaire. À regarder les choses dans leur ensemble et au point de vue des populations rurales, on peut donc affirmer que le travail est plus considérable, mieux réglé, plus fructueux, que la vie est relativement moins chère et absolument plus douce qu’au siècle dernier.

Le progrès matériel se résume dans la manière nouvelle dont une population se loge, s’habille et se nourrit. La France agricole a reconstruit ses maisons, ses fermes, ses granges. À la place de ces tanières où les animaux humains de La Bruyère se retiraient la nuit, à la place de ces huttes misérables où les paysans de Massillon végétaient sans pain, sans meubles, sans feu, sans lit, s’élèvent en pierres et en briques un grand nombre de maisons nouvelles. Dans l’ouest, dans le centre de la France, on retrouverait aisément quelque modèle des constructions rurales du XVIIIe siècle, des cabanes faites de torchis et de sable, de cailloux et de boue ; mais chaque année le temps en fait crouler quelques-unes, et bientôt l’aspect général et la condition des logemens agricoles seront complètement