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livres, il faut leur apprendre à les lire. Quand toutes les intelligences seront ouvertes et qu’elles auront pris l’habitude de comprendre et de chercher à comprendre, quand, par le travail du temps et un effort incessant de toute la société, le peuple sera plus riche, plus instruit, plus capable de combiner tous ces petits problèmes d’à-propos qui forment la science agricole, l’agriculture se perfectionnera tout naturellement. L’exemple d’en haut fera les réformes plus vite et plus sûrement que l’instruction d’en bas. Le petit cultivateur adoptera les nouvelles méthodes dès qu’il verra le gros fermier et le grand propriétaire réussir avec elles. Plus on étudie cette grave question, plus on se persuade que l’avenir de notre agriculture et même le sort des populations rurales reposent entre les mains des cultivateurs riches et intelligens. Aussi, quand M. David de Thiais demande au gouvernement d’intervenir dans la vie agricole par des comices, des concours et des expositions, par des primes, des médailles et des croix, enfin par les institutions de crédit, la confection du code rural et l’instruction professionnelle, il n’est personne qui ne l’approuve ; mais il n’est personne aussi qui ne doive résister à des espérances exagérées et à de généreuses illusions. Ce n’est point sur des décrets et des arrêtés que le cultivateur français doit compter, c’est sur son activité, sur sa persévérance. Le meilleur encouragement, ce n’est pas la récompense de l’état, c’est l’argent du consommateur qui le donne.

Du moment qu’on réduit le gouvernement au rôle de gardien de la paix publique, pour confier à la société la mission de vivre par elle-même et de se suffire, on en conclut très aisément que l’intervention plus ou moins prompte, plus ou moins directe, des grands propriétaires dans la mise en valeur du sol décidera de l’avenir des populations rurales. M. Victor de Tracy, dans ses excellentes Lettres sur l’Agriculture, publiées en 1857, a développé ce point de vue avec l’éloquence de la conviction et du bon sens. En vain demanderait-on aux petits propriétaires ou locataires des améliorations de quelque importance : les idées et les moyens font défaut tour à tour. Le métayer n’est pas capable de faire des avances, et d’ailleurs pourquoi en ferait-il ? Le maître ne doit-il pas prélever la moitié du bénéfice en prélevant la moitié des fruits, ou même ne peut-il pas prendre la totalité de ce bénéfice en reprenant un domaine cultivé sans bail ? Les fermiers n’entreprendront jamais rien de considérable à leurs frais. Ils ne trouvent pas dans la durée des baux des garanties contre les risques qu’ils courent : ils pensent que l’augmentation dans le prix du fermage pourrait bien ne pas correspondre à l’augmentation dans le produit des terres ; ils préfèrent se priver d’un avantage presque assuré pour n’en point faire jouir