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les propriétaires à la fin du bail. Les propriétaires, quand ils possèdent une certaine aisance, sont donc les seuls qui aient non-seulement un intérêt immédiat, mais encore les ressources nécessaires à l’amélioration de leurs terres. La propriété donne des droits, mais elle impose des devoirs. Le premier devoir d’un propriétaire est d’entretenir et d’améliorer sa propriété. Tout propriétaire foncier qui consacre son temps et ses capitaux à la culture non-seulement remplit son devoir, mais encore rend un service à la société. Ce n’est pas assez ; par une de ces harmonies dont on rencontre à chaque instant des exemples dans l’ordre social, le propriétaire, en faisant son devoir, sert ses intérêts. Le fermier réussit : pourquoi le propriétaire, qui n’a pas moins d’intelligence et qui a plus de capitaux, pourquoi le propriétaire ne réussirait-il pas ? La fortune n’est pas si aveugle qu’elle ne suive le travail, lorsque le travail est conduit par une main vigoureuse, et il faudrait un concours irrésistible de fautes ou de malheurs pour ravir au propriétaire cultivateur la récompense méritée. Ne cherchons donc pas à inventer des institutions, mais travaillons à fonder des mœurs rurales. Depuis des siècles, les champs étaient abandonnés par le propriétaire. La vie à la campagne paraissait une vie sauvage. La culture passait pour un métier inférieur et dangereux. Une réaction favorable commence. L’absentéisme a été l’une des plaies de l’ancien régime : la vie rurale deviendra l’une des modes du nouveau. Peut-être, à force de dire aux propriétaires que l’exploitation par eux-mêmes leur donnerait un bénéfice assuré, à force de soutenir qu’il est aussi honorable et souvent plus lucratif d’être agriculteur que fonctionnaire, à force de répéter et d’affirmer ces simples vérités, peut-être séduira-t-on un certain nombre d’esprits aventureux. Les essais se tenteront, les expériences se renouvelleront, et le mouvement, naissant tout à coup sur mille points à la fois, entraînera la France vers des mœurs nouvelles en harmonie avec les principes nouveaux de 1789.

Dans la plupart des projets de réforme mis en avant pour améliorer notre situation agricole, on a sacrifié la liberté particulière et personnelle à l’intérêt public et commun. C’est ainsi que pour régénérer l’agriculture ou pour assurer une condition meilleure aux populations rurales, on a mille fois invoqué l’association volontaire ou forcée. L’association forcée est la violation des principes de 89 : il est superflu de la discuter ; mais que dire d’une association véritablement libre ? Et d’abord s’agit-il d’une association entre paysans, petits propriétaires ou fermiers ? Il est certain que pour s’aider dans la maladie, pour faire un travail de culture, pour battre des grains, pour conduire et vendre des denrées au marché, pour se donner