Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mener droit chez Olympe, qui l’aurait achevée, égarée, effarée, et, de gré ou de force, jetée dans quelque affreux faux pas.

Madame était bien autrement fine, d’ailleurs si maladive, et (malgré ses yeux pleins d’amour) peu amoureuse. Elle ne donnait guère prise, mais elle s’ennuyait, aimait à rire, et surtout de Monsieur. On savait tout cela par une certaine Montalais, une de ses filles, qui l’amusait quand elle était au lit, et qui était en même temps confidente de La Vallière. La Montalais divertissait Madame, surtout en lui parlant des folies du duc de Guiche. Ce qui l’amusait dans l’affaire, c’est que Monsieur y perdait Guiche et s’en désespérait.

Guiche avait vu dans Mlle de Scudéry et ailleurs qu’un héros de roman ne peut écrire à la dame de ses pensées moins de quatre lettres par jour. La Montalais en lisait quelque chose à Madame, qui en avait bientôt assez, et s’endormait, de sorte que, pour se faire lire, Guiche assaisonna ses soupirs de ce qu’elle aimait bien mieux, de plaisanteries sur Monsieur, enfin de traits hardis qui allaient au ciel même, au dieu d’alors, au roi, jusqu’à dire que c’était un fanfaron et un dieu de théâtre. Madame était un libre esprit, et cette impiété l’amusait. Mais dans des romans de l’époque les héros n’écrivent pas toujours : ils parlent, trouvent moyen de pénétrer chez leur princesse sous mille déguisemens. Donc un matin la Montalais amène chez Madame une diseuse de bonne aventure fort embéguinée : c’était Guiche.

Mme de La Fayette assure qu’il n’y avait amour ni d’un côté ni de l’autre ; mais la chose était à la mode. Lauzun allait partout, suivant la sœur de Guiche déguisé en vieille, en valet. Ici surtout on ne pouvait guère penser à mal, car Madame était au plus bas, ses médecins disaient qu’elle n’avait pas beaucoup à vivre. Pour Guiche, il n’y voulait que le péril, la vanité d’avoir aimé si haut. Jamais en toute sa vie il ne fut amoureux que de lui-même. Molière l’a pris tout vif dans ce fat du Misanthrope, l’homme si content de lui et si futile, qui perd le temps à se mirer et cracher dans un puits.

Cette folie n’eut pas moins un effet sérieux. La Montalais la conte à La Vallière sous le secret ; mais celle-ci avait promis au roi de n’avoir pas de secret. Elle est embarrassée. Comment trahir Madame ? comment cacher quelque chose au roi ? Il vit qu’elle cachait quelque chose. Elle refuse de le dire, il est dans une colère épouvantable. La Vallière désespérée veut mourir, s’enterrer au couvent de Chaillot. Elle y court, mais on n’ose la recevoir. Elle reste au parloir couchée par terre, hors d’elle-même. Le roi vient, en tire ce qu’il veut. Il court en accabler Madame, toute malade qu’elle est, lui reproche l’aventure de Guiche, et l’on fait partir celui-ci.

Restaient ses lettres dangereuses, ses moqueries du roi. Madame