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C’est au printemps de 1503 que les magistrats de Florence, ayant résolu de faire orner de peintures la salle du conseil au Palais-Vieux, chargèrent Léonard de Vinci, alors dans la plénitude de sa renommée, d’en décorer l’un des côtés. Léonard s’était déjà mis à l’œuvre, lorsque Michel-Ange fut à son tour chargé de peindre la muraille opposée. Il n’y eut donc pas là, comme on le croit assez généralement, une sorte de concours, dans lequel l’auteur vieillissant du Cenacolo de Milan aurait été vaincu par son jeune rival. Ces peintures ne furent pas exécutées. Léonard, après avoir assez avancé la sienne, s’en dégoûta et y renonça. Le carton qu’il avait préparé n’est point parvenu jusqu’à nous : il ne nous reste, comme moyen d’apprécier cette composition, qu’un fragment gravé par Edelinck d’après une copie de Rubens; mais on chercherait vainement à reconnaître à travers l’interprétation du peintre flamand l’œuvre du maître florentin. Léonard avait choisi pour sujet de sa composition un épisode de la bataille d’Anghiari, qui se termina par la défaite du général milanais Piccinino. Le fragment bien insuffisant gravé par Edelinck représente quelques cavaliers qui se disputent un drapeau ; il ne formait vraisemblablement qu’une faible partie d’un très vaste ensemble, et nous sommes réduits à déplorer la perte d’un des ouvrages les plus importans de Léonard. Le carton qu’avait préparé Michel-Ange ne fut pas non plus conservé, et périt pendant les troubles de 1512. Vasari accuse le jaloux Bandinelli de cette destruction sacrilège. On en garda quelques fragmens à Mantoue jusqu’en 1595, mais ces fragmens mêmes ont disparu. La perte de ce carton est sans doute irréparable, heureusement elle n’est pas complète. Dès le XVIe siècle, Marc-Antoine en avait gravé quelques figures bien connues sous le nom des « grimpeurs, » probablement d’après des dessins de Raphaël, qui avait étudié ce grand ouvrage pendant le séjour qu’il fit à Florence en 1506 et 1509. Les peintres les plus célèbres de cette époque le copiaient à l’envi, et San-Gallo en avait fait, suivant Vasari, une reproduction au clair-obscur. Ce serait, d’après M. Waagen, l’auteur de savantes études sur l’histoire de la peinture, cette grisaille qui, après avoir appartenu pendant longtemps à la famille Barberini, aurait passé en Angleterre en 1808; elle se trouve maintenant au château de Holkham, et Schiavonetti en a donné une assez bonne gravure.

Michel-Ange commença ce carton en octobre 1504, et les précieux documens publiés par le docteur Gaye nous apprennent qu’il y travaillait en février 1505, très peu de temps par conséquent avant son deuxième départ pour Rome[1]. Il y travailla peut-être encore pendant le séjour qu’il fit à Florence en allant à Carrare chercher des marbres pour le tombeau de Jules II, ou même au retour, et nous voyons qu’au mois d’août 1505 il avait complètement terminé son travail. Huit ou dix mois lui avaient

  1. Voyez le savant recueil de Gaye, Carteggio, tome II, pages 92, 93.