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gibier ; mais tout en regrettant qu’on n’ait pas laissé aux poètes latins la faculté de nous peindre les mœurs romaines avec une entière franchise, on peut trouver que ces défiances ombrageuses du pouvoir à l’égard de la poésie, funestes par exemple pour la tragédie nationale, qui vit partout de l’intérêt attaché aux grands événemens de l’histoire, pouvaient à l’égard de la comédie ne plus présenter d’aussi graves inconvénient Forcés de s’abstenir d’une peinture trop précise des choses contemporaines, les poètes comiques de Rome, comme ceux d’Athènes asservie, se réfugiaient dans l’étude générale de la nature humaine. Ils étaient moins de leur temps que ne l’avait été Aristophane, et c’est pour cela qu’ils sont un peu plus du nôtre ; leurs comédies ont pu avec quelques changemens passer sur notre théâtre, et l’homme de tous les âges peut s’y reconnaître. Peut-être le genre littéraire qui, par les nécessités et les périls de la représentation, semble le plus dépendre des gouvernemens est-il celui qui souffre le moins de cette dépendance. À Rome et en France sous Louis XIV, la tragédie a dû s’interdire presque toujours les sujets nationaux, et nul doute qu’elle n’y ait perdu un puissant intérêt et des leçons instructives pour les spectateurs ; la comédie au contraire, grâce à la surveillance inquiète du pouvoir, est sauvée de la tentation des personnalités, et s’élève à la hauteur d’une étude philosophique. Ajoutons aussi qu’aux époques les moins libres, quand le théâtre attire l’attention passionnée du public, il est bien difficile de ne pas lui laisser une sorte de liberté relative. Un auditoire, surtout quand il est très nombreux comme dans les théâtres anciens, a toujours une volonté à lui, pour laquelle il faut avoir plus ou moins d’égards. Les césars eux-mêmes, fort insolens partout ailleurs, se montraient bons princes au théâtre et souvent fort complaisans pour les fantaisies des spectateurs : si avilis que fussent alors les Romains, au cirque leur masse les faisait un peu respecter. Là où l’on malmène le peuple, on ménage parfois le public. Aussi est-ce une chose étonnante que la liberté relative laissée au théâtre même sous des régimes peu libéraux. Ces franchises peuvent tenir à d’autres causes que celles que nous signalons ici. Il y a pourtant un double fait qui nous paraît incontestable : c’est que, sous Louis XIV par exemple, on avait pour le public une déférence à laquelle depuis on ne s’est plus cru obligé, et qu’en outre sous ce régime on a laissé représenter des comédies qui, sous des régimes beaucoup plus libéraux, ou auraient été absolument interdites, ou n’auraient point passé sans suppressions.

Grâce à ce caractère général, humain plutôt que national, qu’affecta la comédie latine, elle a pu s’élever très haut sans trop souffrir des gênes imposées d’ailleurs à la pensée. En outre, bien que sortie d’Athènes, elle trouvait à Rome même des germes à féconder,