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cette découverte, comme elle ne reçut aucune publicité, et ne profita ni à la science ni à la navigation, c’est avec justice que les contemporains ont réclamé pour Cabot la gloire d’avoir révélé Terre-Neuve à l’Europe. Qu’il suffise aux Basques du mérite incontesté d’avoir devancé tous leurs rivaux dans la pêche de la morue comme dans celle de la baleine ! Ils s’y attachèrent avec persévérance, et lorsque le contre-coup de la guerre pour la succession d’Espagne menaça leurs intérêts, les négocians de Saint-Jean-de-Luz, prenant une initiative indépendante qui les recommande à l’estime de la postérité, adressèrent au syndic du pays de Labourd, représentant du pouvoir royal, un mémoire où ils soutenaient avec énergie que la conservation de tous les ports méridionaux de Terre-Neuve était de la plus haute importance pour le commerce de l’Amérique, et surtout pour l’approvisionnement du Canada et de l’Acadie. Ils ajoutaient que Terre-Neuve était une conquête des peuples que la couronne ne pouvait livrer à l’étranger. Leurs respectueuses protestations ne furent pas écoutées, et tandis que le vieux monarque français, bien que fatigué de luttes, inclinait à refuser une telle concession, dont il entrevoyait les funestes conséquences, les courtisans entraînèrent son consentement en lui assurant que c’était un pays inhabitable et sans valeur. Aujourd’hui Terre-Neuve est un des beaux fleurons de la couronne d’Angleterre.

Chassés de l’île, les Basques se tournèrent vers le Grand-Banc, et depuis cent cinquante ans ils lui restent fidèles comme à un patrimoine de famille ; mais la fortune ne leur a pas témoigné la même constance. Aux jours prospères du xvie et xviie siècle, la ville principale du pays basque, Saint-Jean-de-Luz, enrichie par ses pêches et ses courses, était devenue une florissante cité, dont les négocians, imitant les plus illustres citoyens de Florence et de Venise, bâtissaient pour leur demeure des palais opulens, ornés des merveilles de l’industrie et de l’art, dignes de recevoir sur leurs dalles de marbre, sous leurs lambris dorés, les royaux personnages qui, depuis François Ier jusqu’à Louis XIV, furent conduits par la politique dans les murs de cette ville, la plus voisine de la Bidassoa et de l’Espagne. Cette grandeur, qui ennoblissait la fortune, confiait à l’avenir les plus vastes espérances, lorsque l’Océan, à l’éternelle douleur des habitans de Saint-Jean-de-Luz, dans un jour de fureur, franchit les limites que Dieu semblait là avoir fixées, brisa les rochers qui défendaient l’entrée du port, et, s’élançant au-delà de la plage, assaillit la ville. C’était vers 1675. Depuis cette date néfaste, les attaques des flots envahissans ont redoublé d’année en année ; la barre de la Nivelle, rivière qui débouche en cet endroit dans la mer, a été bouleversée, et la ville minée. Les vagues ont englouti l’une