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après l’autre toutes les barrières dressées contre elles d’après les inspirations de Vauban, elles ont même défié le génie de Napoléon, qui, en un jour de noble ambition, résolut de les enchaîner. Une seule barque de pêche flotte dans ce port, où se pressaient jadis jusqu’à quatre-vingts navires. La malheureuse ville, dépeuplée, ruinée, évoquant ses souvenirs comme des rêves dans la tristesse solennelle de ses rues silencieuses, en est réduite à demander sa renaissance à des bains de mer dont un charmant paysage et le renom de Biarritz font présager le succès[1]. Bayonne a recueilli son héritage maritime, et l’entretient dans des proportions modestes qui ne rappellent que de loin la splendeur des temps passés. C’est que la baleine et la morue étaient tout pour Saint-Jean-de Luz. La baleine n’est plus rien pour Bayonne, et la morue n’y est qu’un accessoire. Elle est moins encore pour Bordeaux, qui compte à peine cinq ou six navires terre-neuviens.

Le goût des Basques pour la mer et la pêche a résisté à cette épreuve. C’est dans les trente communes du pays de Labourd et quelques cantons de la Biscaye espagnole que les armateurs de Bayonne et de Bordeaux, quelquefois même des ports plus éloignés, recrutent leurs matelots, qui se montrent dignes de l’antique réputation de leur race, malgré quelques signes de déchéance dont on accuse le croisement avec les populations limitrophes, moins bien douées. Les Basques sont entreprenans et intrépides, d’une adresse et d’une agilité proverbiales, sobres, subordonnés comme des gens pour qui la discipline est une vieille tradition. Toutefois leur tempérament méridional, qui brille par un vif entrain, ne résiste pas avec la même énergie au découragement. La morue est la fortune du pays basque ; il est tel village à qui elle rapporte tous les ans plus de 200,000 fr. Ce serait pour bien des familles le noyau d’une solide aisance, si les belles Basquaises apportaient dans le ménage quelques habitudes d’économie ; mais exclues de toute influence dans les affaires domestiques par l’orgueil viril, qui n’admet pas même les femmes à la danse nationale avec les hommes, elles se vengent de cet isolement en dissipant d’avance par leurs profusions le gain de leurs maris.

Les Bretons suivirent de près à Terre-Neuve les Basques, dont ils furent les émules, les associés et devinrent quelquefois les parens par alliance. Dans leurs ports, que la mer a respectés, les armemens ont pu se continuer depuis trois siècles sans autre cause d’interruption que la guerre. Aussi notre époque trouve-t-elle les

  1. Voyez, dans la Revue du 15 janvier et du 15 mars 1850, les études de M. de Quatrefages sur la baie de Biscaye. L’histoire de cette décadence d’une ville jadis riche et prospère se lit avec intérêt dans le livre de M. Léonce Goyetche, intitulé Saint-Jean-de-Luz, historique et pittoresque. Bayonne 1856.