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s’était montré à lui sous la forme d’une vive flamme, il était tombé sous l’atteinte divine, et avait eu alors une vision.

« Apercevant tant de gens réunis, je pris une torche et descendis vers la rivière pour voir ce qui se passait. Aussitôt que j’approchai de l’arbre, je sentis le soufre ; en examinant le tronc, je reconnus les traces de la poudre, et j’aperçus à terre le cigare avec lequel Sargent l’avait enflammée. Il était alors en train de délivrer son message. J’allai droit à lui, et lui demandai si un ange lui était apparu au milieu de cette grande clarté.

« — Sans doute, me répondit-il.

« — Cet ange ne sentait-il pas le soufre ?

« — Pourquoi cette question ridicule ?

« — Parce que si un ange vous a parlé, il ne pouvait venir que du lac où brûlent éternellement le feu et le soufre.

« Et, élevant la voix, je m’écriai : Je sens encore le soufre. J’allai à l’arbre, et j’appelai les gens qui étaient lu, en les invitant à venir voir eux-mêmes. On accourut ; la fourberie fut manifeste, et Sargent se vit traité de vil imposteur. Il déguerpit, et nous n’eûmes plus rien à démêler avec lui, ni avec ses anges de soufre. »


Une autre anecdote fera toucher au doigt l’ignorance et l’excessive simplicité de ces premiers colons de l’ouest, à qui manquaient souvent les notions les plus vulgaires de la foi chrétienne. Elle fera comprendre comment les erreurs les plus bizarres et les doctrines les plus insensées pouvaient trouver créance dans leur esprit.


« M. Lee prêchait un jour dans une ferme, et il avait pris pour texte ces paroles de Notre-Seigneur : « Si un homme ne se renonce lui-même et ne porte sa croix, il ne saurait être mon disciple. » D’une voix attendrie et les yeux pleins de larmes, il pressait ses auditeurs de prendre leur croix, de la prendre, quelle qu’elle fût, et de la porter.

« Il y avait dans l’assistance un Hollandais très endurci et sa femme, tous deux fort ignorans des Écritures et de tout ce qui touche au salut. La femme était connue pour une mégère ; elle était si adonnée aux criailleries qu’elle en rendait son mari malheureux ; elle le tenait dans des transes continuelles, et lui faisait passer une vie pénible et misérable. Il plut à Dieu que ce jour-là la parole de M. Lee touchât leurs urnes : ils pleurèrent tout haut, résolurent de mieux faire, et désormais de prendre, de porter leur croix, quelle qu’elle fût.

« Le soir du même jour, M. Lee, se rendant à cheval à une autre réunion, aperçut en avant de lui un homme qui marchait péniblement, et portait une femme sur son dos. M. Lee pensa naturellement que la femme était infirme, ou qu’un accident venait de la mettre hors d’état de marcher, car l’homme était de petite taille, et la femme grande et lourde. M. Lee se mit à songer comment il pourrait leur rendre assistance ; mais quand il les eut rejoints, qui reconnut-il ? Le Hollandais et sa femme, qui avaient été si fort affectés par son sermon le matin. M. Lee demanda au mari ce qui lui était arrivé, et pourquoi il portait sa femme. Le Hollandais se tourna vers lui et