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« Me sera-t-il permis de faire une remarque sans être accusé d’égotisme ? Quand je songe aux obstacles et aux embarras de toute nature que les premiers prédicateurs méthodistes avaient à surmonter pour répandre l’Évangile dans les solitudes de l’ouest, et que je mets en balance les difficultés qu’ils rencontraient de tous côtés avec les avantages si grands dont jouissent leurs successeurs, je suis émerveillé et confondu que nos modernes prédicateurs ne prêchent pas mieux et n’accomplissent pas plus de bien qu’ils ne font. Autrefois le prédicateur était obligé de passer bien des nuits en plein air, sans feu et sans nourriture pour lui et pour sa bête. Une Bible de poche, un livre d’hymnes et le recueil des règlemens composaient toute notre bibliothèque. Il est vrai que nous ne savions pas, pour la plupart, conjuguer un verbe ni analyser une phrase, et que nous ne pouvions ouvrir la bouche sans maltraiter l’anglais du roi ; mais une onction divine s’attachait à la prédication, des milliers d’âmes succombaient sous la puissance irrésistible du Seigneur, et c’est ainsi que l’église méthodiste a été fermement plantée dans les déserts de l’ouest. »


Un danger que Cartwright signale avec plus de raison est le résultat même des progrès de son église. À mesure que le méthodisme a compté des adhérens plus nombreux et plus riches, il a dû pourvoir à des besoins plus grands, et il a voulu se mettre au niveau des autres églises. Il a donc fondé des séminaires pour instruire son clergé et des collèges pour recruter ses séminaires ; il a établi des journaux pour la propagande et la controverse ; il a constitué des associations et des entreprises pour publier et répandre des écrits religieux. Chacune de ces fondations, qui se multiplient sans cesse, a entraîné la création de plusieurs postes qui, à l’agrément d’être sédentaires, joignent l’avantage d’être bien rétribués, et auxquels on a dû appeler l’élite du clergé. Comme il était impossible de mettre en dehors de l’église les Sommes qui en étaient l’honneur et paraissaient en faire la force, on a maintenu aux titulaires, chaque jour plus nombreux, de ces fonctions tous les privilèges du ministère, Cartwright se plaint de voir voter dans les assemblées des hommes qui n’ont jamais été chargés d’un circuit, qui ne connaissent rien de la vie ni des besoins d’un prédicateur, qui peut-être n’ont jamais prêché. Il entrevoit avec terreur le jour où les dignitaires à poste fixe seront en majorité dans les assemblées et feront la loi aux prédicateurs.

Le jour en effet où cette inévitable révolution sera accomplie, le méthodisme sera frappé dans son essence même ; il cessera d’être une église militante, un foyer de prosélytisme : rien ne le distinguera plus des sectes sans nombre qui végètent autour de lui, et que l’esprit de dissidence divise et affaiblit continuellement. Les craintes de Cartwright sont donc légitimes ; mais il n’est au pouvoir de personne d’arrêter le méthodisme sur la pente fatale où la force