Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais en Angleterre le méthodisme a déjà perdu presque complètement cet esprit et cette puissance de propagande que Wesley avait cherché à lui donner. Non-seulement l’action individuelle s’est éteinte parce que la fréquence et la facilité des réunions régulières ont mis fin aux réunions privées et aux prédications spontanées, mais parce qu’une révolution s’est produite dans le clergé. Si dans l’église catholique, malgré l’obligation du célibat et le vœu de pauvreté, tous les ordres religieux ont fini par dégénérer et ont dû se retremper à plusieurs reprises par des réformes, à plus forte raison la tendance à devenir sédentaire, à substituer une existence stable aux fatigues et aux incertitudes de l’apostolat, a-t-elle dû être puissante chez un clergé protestant, marié, et que les soucis de la famille disputaient au zèle religieux. Aujourd’hui en face de chaque temple anglican s’élève une chapelle méthodiste : à l’une est attaché un prédicateur, à l’autre un ministre ; les deux clergés et les deux églises vivent côte à côte de la même vie, à peine séparés par de légères dissidences.

Une transformation semblable est en voie de s’accomplir au Canada, où les prédicateurs itinérans ont déjà obtenu de n’être changés de circuit que tous les cinq ans, et où leur multiplication diminue chaque année l’étendue des circuits. Les mêmes causes ne peuvent manquer de produire les mêmes effets aux États-Unis. Le changement est assez sensible déjà pour avoir frappé les yeux de Cartwright : malgré son amour et ses préventions pour son église, le vieux prédicateur s’aperçoit que le méthodisme américain à déjà subi de profondes altérations. Aussi combat-il tout changement comme une cause de ruine. Quoique les Asbury, les M’Kendree et tous les fondateurs de la secte se soient volontairement condamnés au célibat, Cartwright, marié lui-même, et avec la conscience de n’avoir jamais négligé ses devoirs de prédicateur, ne veut pas voir dans le mariage du clergé une des causes les plus actives de la décadence qui atteint son église. Ces causes, il les cherche un peu partout, et il s’en prend volontiers à ce qu’il appelle l’engouement du siècle pour l’éducation. Il n’aime point, on l’a vu, les établissemens où l’on fabrique les prédicateurs à la douzaine, et il lance volontiers des sarcarmes contre les ministres trop amoureux des belles-lettres. C’est ainsi que, dans sa préface, il exprime l’espoir que son livre atteindra un but plus utile que de satisfaire une vaine curiosité ou de blesser le goût délicat des ministres beaux diseurs, à qui le bonheur des temps et l’abondance des livres ont offert tant d’avantages pour s’instruire. Cartwright laisse volontiers entendre que, si la prédication ne porte plus les mêmes fruits qu’autrefois, c’est qu’en voulant donner trop d’instruction au clergé, on éteint chez lui le feu sacré et on tarit les sources de l’inspiration.