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pondaient que trop à l’ardeur naturelle des esprits, il l’avait loué de croire que le respect des droits existans était pour lui un fondement plus sûr que les chances toujours incertaines de la force. Il avait insisté sur les intérêts nombreux qui se liaient au repos du continent, et montré en perspective des conquêtes plus fécondes et moins douloureuses que celles qu’on proposait à la France à travers le deuil et les hasards. Voilà le titre dont on tint compte à M. Michel Chevalier, et qui lui valut la mission délicate et laborieuse dont il fut chargé.

Les chemins de fer étaient à cette date à l’état d’embryons ; en Angleterre, celui de Manchester et de Liverpool, chez nous les deux tronçons de Saint-Étienne à la Loire et au Rhône, comptaient seuls dans cette période rudimentaire. La conscience du rôle qu’ils devaient jouer n’existait même pas. On y voyait tout au plus un complément aux voies navigables, un accessoire plus ou moins ingénieux des moyens de transport, limité à de certaines localités et en vue de services industriels. L’un des premiers, M. Michel Chevalier s’était efforcé de donner à ces créations le caractère de grandeur qu’à quelques années de là elles devaient revêtir. Il en avait parlé en poète autant qu’en ingénieur, et cela au point d’exciter un peu d’ironie, même chez les hommes du métier : presque tous l’accusaient d’en exagérer l’importance. Cependant le gouvernement avait mis la question à l’étude, et dans la session de 1833 une loi affecta à ces travaux préliminaires une somme de 500,000 francs. En Europe, l’enquête n’avait pas un vaste champ à parcourir ; mais il existait aux États-Unis un mouvement très prononcé vers les voies ferrées, qui s’y exécutaient dans des conditions de promptitude et d’économie dignes d’examen. M. Michel Chevalier offrit de se rendre sur les lieux pour observer les faits et en rendre compte à l’administration : sa proposition fut agréée ; après un court séjour en Angleterre, où il recueillit quelques renseignemens, il s’embarqua à Liverpool.

Ce voyage compte dans sa carrière comme un événement essentiel ; l’Amérique portait alors bonheur à ceux de nos écrivains qui en avaient fait l’objet de leurs études. M. Gustave de Beaumont y puisait les élémens de son consciencieux travail sur le régime pénitentiaire ; M. Alexis de Tocqueville préparait à sa réputation un titre durable en embrassant d’un coup d’œil sûr et en soumettant à une savante analyse les institutions de ce peuple nouveau. Venu après eux, M. Michel Chevalier avait un but non moins défini. D’un côté, il devait, dans un cadre libre et au jour le jour, résumer les impressions que faisaient naître en lui l’aspect des lieux, l’état des mœurs, les formes originales de ce gouvernement, les qualités et