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les défauts de cette civilisation, si vigoureuse dans sa rudesse. D’un autre côté il avait à réunir les matériaux d’un ouvrage technique qui répondit plus particulièrement à la mission qui lui avait été confiée. À l’une et à l’autre tâche il consacra deux années de voyage, pendant lesquelles des États-Unis il passa aux pays limitrophes, comprenant dans son itinéraire presque toute l’Amérique du Nord, insulaire et continentale. À Cuba, il avait à voir le dernier et le plus beau débris de cet empire que l’Espagne s’était créé dans le Nouveau-Monde, et qu’elle a su si mal conserver ; au Mexique, il rencontrait une de ces émancipations de la race latine qui vont d’avortement en avortement, sans qu’on puisse dire où elles aboutiront ; au Canada, il retrouvait l’empreinte de la France survivant aux effets de l’occupation anglaise, spectacles variés, pleins d’attrait et de grandeur, où l’on ne sait qu’admirer le plus du génie de l’homme ou des richesses de la nature.

Deux publications ont résumé cette course laborieuse, une correspondance insérée aux Débats et reproduite, après une refonte, dans les deux volumes intitulés Lettres sur l’Amérique du Nord, puis deux autres volumes in-4o accompagnés d’un atlas sous le titre de Histoire et Description des Voies de communication aux États-Unis. Dans le premier de ces ouvrages, que précède une fort belle introduction, l’auteur ne fait à la manie des rapprochemens que des concessions modérées, il envisage la société américaine en elle-même, l’estime pour ce qu’elle est et ce qu’elle vaut. C’est une prétention assez commune parmi nous que de prendre pour point de départ de nos jugemens le régime sous lequel il nous a été donné de vivre, et de regarder celui des autres peuples comme plus ou moins parfait, suivant qu’il s’en rapproche ou s’en éloigne. Il semble étrange à un Français qu’il existe des pays où l’individu attend beaucoup de lui-même et peu des autres, et que, là où la force autorisée ne le protège pas suffisamment, il se protège par sa propre énergie. On ne s’accoutume point non plus à l’idée que le champ reste libre à l’activité personnelle, et qu’on ne ménage pas à des classes favorisées des abris paisibles, des sinécures, des privilèges, où le bien-être s’acquiert au prix de peu d’efforts ; on tient enfin pour fort dépourvus les gouvernemens qui n’ont ni dette croissante, ni gros budgets, ni état militaire onéreux, ni fiscalité importune, en un mot aucune des combinaisons ingénieuses dont notre vieux monde s’enorgueillit. Il faut admettre pourtant qu’il y a dans cette liberté exubérante, dans cette absence de contrôle et de charges, un ressort que par d’autres moyens on n’eût pas obtenu. C’est ainsi et seulement ainsi qu’en moins d’un siècle ces solitudes se sont peuplées, que des moissons ont remplacé les steppes, que des villes se sont élevées du sein des marécages, au cœur des forêts, que des