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taurer ce tableau par un médiocre peintre, et il est passé en Angleterre, où il aura fait fortune[1]. »

Clément VII n’avait pardonné à Michel-Ange sa participation à la défense de Florence que sous la condition qu’il terminerait les tombeaux de Saint-Laurent. Il ne fallut rien moins que la toute-puissance du pape pour défendre le sculpteur contre la haine que lui portait l’infâme Alexandre de Médicis. Déçu dans ses plus chères espérances, forcé d’assister vaincu et impuissant au triomphe d’une cause qu’il détestait, irrité des dissensions de son parti, qui avaient amené une défaite que ses efforts n’avaient pu que retarder, Michel-Ange semble avoir été en proie dans ce temps à la plus sombre exaltation. Sa santé était si gravement atteinte que le pape rendit un bref qui lui interdisait, sous peine d’excommunication, tout travail de peinture ou de sculpture, à l’exception de ce qui concernait la sacristie de Saint-Laurent. Quelques mois auparavant, Antonio Mimi, son élève, écrivait : « Michel-Ange me paraît très fatigué et maigri. Nous ne pensons pas qu’il puisse vivre longtemps, s’il ne se soigne ; ce qui est dû à ce qu’il travaille beaucoup, mange peu et mal, et ne dort pas. Depuis un mois, il est pris de douleurs de tête et de vertiges. » Alexandre lui ayant demandé des plans pour la construction d’une citadelle, il avait refusé net de travailler pour lui. Ce prince était bâtard d’une mulâtresse et de Clément VII, ou, suivant d’autres, de Laurent II. On prêtait à l’artiste irrité ce mot sanglant, qui s’adressait aussi bien à tant d’autres membres de cette race dégénérée qu’à ce monstre, « qu’il fallait raser le palais des Médicis et faire sur le terrain qu’il occupait une place que l’on nommerait la place des Mulets. »

Michel-Ange n’avait pour ainsi dire pas touché ses ciseaux depuis quinze ans. Il se remit aux tombeaux de Saint-Laurent avec une sorte de fureur, tellement qu’à la fin de 1531 les deux figures de femmes étaient achevées et les autres très avancées. Il avait été question de placer quatre tombeaux dans la chapelle, et il est probable que celui de Laurent le Magnifique était compris dans ce premier projet, auquel Clément VII avait renoncé, se bornant à ceux de Julien, frère de Léon X, et de Laurent, duc d’Urbin, fils de Pierre et père de Catherine de Médicis. La chapelle qui renferme ces monumens forme un carré surmonté d’une coupole. Elle est de ce style savant et froid dont Michel-Ange a donné tant d’exemples dans les autres constructions de Saint-Laurent, dans les nombreux palais dont il est l’auteur, et au plus haut degré dans Saint-Pierre de Rome. Au fond se trouve l’autel; vis-à-vis, une Vierge avec l’enfant, l’un de ses plus beaux ouvrages, et deux figures, qui sont probablement en très grande partie de la main de ses élèves Rafaello da Montelupo et Fra Giovan Agnolo, qui l’aidèrent dans ce grand travail ; de chaque côté, dans la hauteur du mur, les deux statues de Julien et de Laurent.

Rien ne prête à l’émotion dans cette chapelle, claire, blanche et froide, et qui pourrait voir cependant les statues de Julien, de Laurent, les quatre

  1. La gravure de cette composition a été faite d’après le beau carton de l’académie de Londres.