Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans son second ouvrage, M. Michel Chevalier écarte ces questions délicates et se renferme en un cadre tout spécial : ce n’est plus ici le moraliste et l’économiste qui parlent, c’est l’ingénieur. L’Histoire et la description des voies de communication aux États-Unis restent fidèles à leur titre. Déjà, dans une correspondance avec le ministère des travaux publics, l’auteur avait fourni, à mesure qu’il les recueillait, des renseignemens circonstanciés sur les chemins de fer américains, les procédés de construction, les prix des matériaux et de la main-d’œuvre, le coût des terrains, les habitudes d’exploitation ; son ouvrage complète ces études et s’ouvre par une géographie à grands traits de cette portion du nouveau continent. De très belles planches éclairent le texte et en augmentent l’intérêt. On y remarque les modèles d’appareils et de travaux qui sont entrés aujourd’hui dans la pratique courante, mais qui alors appartenaient à l’Amérique, tels que certains ponts en bois ou en treillis, les plans inclinés en usage sur les canaux et les chemins de fer, invention ingénieuse qui donne les moyens de franchir à peu de frais les passages difficiles. Ramené à ces recherches techniques, M. Michel Chevalier ne les abandonna pas sans s’y assurer un titre à la popularité. Par l’effet des combats de partis et du choc des systèmes, l’établissement de nos chemins de fer s’ajournait de session en session, et devenait un problème chaque jour plus insoluble : tout le monde les désirait, les demandait à grands cris, mais dès qu’il s’agissait d’en fixer le réseau, les départemens favorisés voyaient se former contre eux la ligue des départemens dépourvus ; les rancunes locales tenaient en échec l’intérêt public, et la voix de la raison ne parvenait pas à dominer les clameurs du nombre. Enfin en 1838 le ministère résolut de présenter un projet sérieux, et M. Michel Chevalier profita de la circonstance pour entrer en lice avec toute l’énergie de ses convictions. Sous le titre d’Intérêts matériels, il publia un livre où des vérités un peu dures sont mêlées à d’excellens conseils, et qui renferme un plan complet des voies de communication et surtout des chemins de fer dont l’exécution devait répondre aux besoins les plus justifiés du pays. Ce livre fit du bruit et eut un écoulement rapide : en frappant fort, l’auteur avait frappé juste. Ce qui surprend quand on le relit, c’est l’exactitude des prévisions : toutes les lignes qui étaient alors dans le vague et que nous voyons en pleine activité y figurent dans leur détail et leurs points d’arrêt, les lignes du Nord, de l’Est et de l’Ouest, — celles de Paris à Lyon et à Marseille, — de Paris à Bayonne par Orléans, Tours et Bordeaux avec embranchement sur Nantes, — de Marseille à Bordeaux par Montpellier et Toulouse : on dirait que le coup d’œil de l’auteur a devancé les temps. Il faut ajouter à sa louange que le Grand-Central manque à cette nomenclature.