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REVUE MUSICALE.


Ce ne sont pas les nouveautés ou des faits plus ou moins intéressans qui manquent aujourd’hui à la critique musicale. Les théâtres lyriques se réveillent, tous se préparent à bien recevoir le public, qui ne tardera pas sans doute à quitter les molles douceurs de la villégiature pour les plaisirs de la grande ville. Tout semble annoncer que l’hiver sera brillant et bruyant à Paris, et quand Paris s’amuse, l’Europe est tranquille. Aussi faut-il plaindre ces âmes d’élite qui, habituées à venir s’abreuver tous les ans à cette coupe d’enchantemens intellectuels qu’on nomme Paris, se voient forcées d’aller porter sur une terre étrangère une intelligence digne d’apprécier les belles choses qui existent ou qui s’accomplissent ici.

C’est le théâtre de l’Opéra-Comique, que nous avons un peu malmené dernièrement, qui a pour ainsi dire inauguré la saison le 22 septembre par la reprise du Songe d’une Nuit d’été, opéra en trois actes, de M. Ambroise Thomas. L’ouvrage remonte à quelques années déjà, car la première représentation date du 20 avril 1850, et a servi aux débuts d’une agréable cantatrice, Mlle Lefèvre, qui s’est produite avec bonheur dans le rôle d’Elisabeth. Puisque nous n’avons jamais eu l’occasion de parler ici de l’opéra de M. Ambroise Thomas, l’un des meilleurs qu’il ait écrits, nous voulons nous y arrêter un instant. Le sujet de la pièce est emprunté à la délicieuse fantaisie de Shakspeare connue sous ce titre : le Songe de la mi-août. C’est tout ce que les auteurs du libretto, MM. Rosier et de Leuven, ont cru devoir prendre des fictions charmantes du poète anglais, car du reste ils se sont donné libre carrière pour mêler et brouiller toutes choses jusqu’à l’absurde. Qu’on s’imagine la reine Elisabeth d’Angleterre éprise de Shakspeare, pénétrant pendant la nuit dans un bouge pour avoir le bonheur de contempler de près le poète qui fait la gloire de son règne et de son pays! Dans cette taverne, qui est fréquentée par les plus grands vauriens de Londres, Elisabeth, suivie d’une dame de compagnie, Olivia, fait la rencontre de sir John Falstaff, personnage bien connu, l’une des plus vigoureuses créations du génie dramatique de Shakspeare. Il se noue là, dans cette taverne bruyante, entre Elisabeth, Olivia, Falstaff et Shakspeare, un imbroglio de basse comédie qui ne serait toléré sur aucun théâtre d’Angleterre. Après un épisode ingénieux, qui forme tout l’intérêt du second acte, où Shakspeare, exalté par le rêve et la vue d’un magnifique paysage, croit entendre la voix de Juliette, la fille immortelle de son cœur de poète, l’imbroglio se dénoue par une exhortation tendre d’Elisabeth à Shakspeare, de se montrer digne de sa glorieuse mission. Je n’ai pas voulu parler des froides amours d’Olivia et de Latimer, personnages subalternes qui n’ont été mis là que pour donner la réplique et servir d’élémens au compositeur. Après tout, cette pièce absurde, qui s’écoute sans trop d’impatience et qui ne manque pas du vulgaire intérêt qu’on va chercher à l’Opéra-Comique, renferme le germe d’une idée dont un poète dramatique pourrait tirer grand parti. Nous voulons parler de l’évocation des plus charmantes créations de Shakspeare, au milieu desquelles le poète, sollicité par la fraction de vérité humaine et d’idéalité qu’il a mise dans cha-