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une chance meilleure. Enfin toutes les contestations étaient réglées par les prud’hommes, qui, maîtres eux-mêmes, étaient loin d’être des juges impartiaux entre patrons et valets. Il n’y avait qu’un seul cas où le droit du valet fût très nettement défini, parce que, dans le fond, il s’agissait moins de son droit que du maintien des privilèges de la corporation : si le maître employait par aventure des ouvriers régulièrement reçus, mais reçus dans une autre ville, ou, ce qui était plus grave encore, des ouvriers sans qualité (sans livret), il pouvait être cité par ses valets devant les prud’hommes du métier. Un règlement va jusqu’à punir d’une amende le maître qui se fait aider par ses voisins, par ses confrères, maîtres comme lui dans la même corporation, ou par sa propre femme.

Despotiquement gouverné par les maîtres, obligé d’attendre d’eux le travail, à peu près incapable d’arriver à la maîtrise, l’ouvrier chercha des armes dans l’association ; c’est l’instinct des faibles. Il créa au XVe siècle, contre la corporation officielle, la confrérie. La confrérie existait déjà pour les patrons, mais ce n’était qu’une association de prières assez mal vue par l’église et par le gouvernement, qui redoutaient des affiliations trop nombreuses, et par conséquent trop puissantes. La confrérie entre ouvriers eut un autre caractère ; ce fut, sous un prétexte religieux, l’organisation de la grève. Le croirait-on ? Le privilège se glissa jusque dans ces réunions des victimes du privilège ; les confréries imitèrent tant qu’elles purent les corporations, et se firent exclusives à leur exemple, tant il est vrai qu’on apprend mal la liberté à l’école de la servitude. Il faut entrer dans la liberté de plain-pied et à tous risques, car la servitude n’engendre que les révolutions et l’anarchie. Ces ilotes du travail, à qui la maîtrise était interdite ou peu s’en faut, se consolaient en opprimant à leur tour les ouvriers étrangers au compagnonnage.

Mais c’est surtout dans la constitution de la maîtrise que triomphe l’esprit du monopole. Tout apprenti ou compagnon qui veut devenir maître doit d’abord, dans les corporations où le nombre des maîtrises est limité, attendre une vacance ; puis il fait sa déclaration aux gardes ou jurés du métier, qui lui indiquent le sujet de son chef-d’œuvre. Si la corporation est déjà nombreuse, ou si elle redoute pour un motif quelconque l’arrivée de nouveaux concurrens, les jurés se gardent bien d’indiquer un sujet facile. Ils choisissent une œuvre compliquée, qui demande beaucoup de temps et beaucoup d’argent, et qui, une fois faite, ne puisse pas être placée dans le commerce. Ils prennent les précautions les plus minutieuses pour empêcher le candidat d’être aidé, et vont quelquefois jusqu’à le renfermer seul dans un atelier pendant des semaines entières. Il