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ses anciens ; le règlement y mettra bon ordre. Ainsi donc exaction, réglementation, voilà les deux instrumens de torture qui, pendant vingt siècles, vont rendre l’industrie captive.

Je sais qu’on déguisera sous le nom de charité l’organisation abusive de la bourse commune, et sous le nom de loyauté du commerce la réglementation absurde qui, portant dans l’industrie les préoccupations inquiètes de la théologie, condamne une découverte comme un crime. Je ne nie pas qu’il y ait partout du bon dans le mauvais ; mais ici le mauvais domine, il éclate. Voyons, pour commencer, le chapitre des exactions. Le maître a donc fait son chef-d’œuvre, les jurés l’ont reçu. Il faut maintenant « acheter le métier du roi, » payer un droit à la communauté et une redevance à quelque officier de la couronne : au panetier, s’il s’agit d’un boulanger, au maître de la garde-robe, s’il s’agit d’un fripier, etc. Ces différens droits, dans certaines corporations, représentent jusqu’à trois cents journées de travail ; ils ne dispensent nullement le nouveau maître de payer encore, sous divers noms et sous divers prétextes, au roi, à la corporation, à l’église, des sommes dont l’évaluation est quelquefois arbitraire. Il faut aussi qu’il subisse l’obligation du banquet : le banquet est la consécration de la maîtrise. C’est une institution plus ancienne que le chef-d’œuvre, dont l’obligation ne fut guère généralisée qu’au XIVe siècle : celle-ci remonte jusqu’aux corporations romaines. Il n’y a rien qui soit plus sévèrement exigé et plus minutieusement réglé par les statuts, parce qu’on rattache au banquet des idées de confraternité intime, et peut-être même quelques idées superstitieuses, à la manière antique. À la fin du XVIIe siècle, le total des frais s’élevait à Paris, pour chaque maître drapier, à 3,240 livres. Le bon sens veut qu’au moment où un artisan s’établit à son compte, il ait devant lui quelques avances ; c’est le contraire que veulent les règlemens de maîtrises. Les frais de chef-d’œuvre, les droits d’entrée et le banquet absorbent en pure perte deux ou trois années de revenu. Donc la maîtrise n’est accessible qu’aux riches.

Écrasé par ces premiers frais, le nouveau maître prend aussitôt sa part des charges de la communauté. Il acquitte les redevances annuelles, il contribue pour sa quote-part à l’extinction des dettes de la corporation. S’il y a une confrérie, il entre dans les frais du culte ; s’il se fait une procession, un cortège, une partie de la pompe retombe à sa charge. Il paie la taille et la capitation, les dixièmes et les vingtièmes, et toute cette foule d’impôts sans règles, sans assiette fixe, sans contrôle, que les prodigalités du roi, les besoins toujours croissans d’une politique essentiellement vénale et l’avidité des traitans faisaient peser sur le tiers-état. Il paie, comme fabricant, des droits sur la matière première, comme marchand, des