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régler le nombre d’heures de travail des enfans dans les manufactures, réglementation à coup sûr la plus innocente, ou, disons mieux, la plus légitime de toutes, et contre laquelle, pour ma part, je suis bien loin de m’élever ? Il vous faudra aussitôt, sous peine de condamner votre loi à l’impuissance, introduire la police dans les familles, fixer l’heure de l’ouverture et de la fermeture des ateliers, la durée des repas, le genre et la condition du travail. Bien plus, comme dans la plupart des manufactures l’ouvrier adulte a besoin d’un enfant pour l’aider, la limitation du travail des enfans amènera par le fait la limitation du travail des adultes. Le législateur lui-même se laissera aller promptement à appliquer aux adolescens, puis aux femmes, puis enfin à tous les ouvriers, un système de protection qui peut être une cause de ruine pour les commerçans et une cause de famine pour les travailleurs. On l’a bien vu en Angleterre et en France, où la limitation du travail des enfans a eu pour conséquence presque immédiate la limitation légale du travail des adultes. Cependant de quel droit empêcherez-vous un père de famille fort et bien portant de travailler treize heures au lieu de douze, et de diminuer d’autant les privations et les fatigues de sa femme et de son enfant ? Cette heure de travail que la loi supprime dans tous les ateliers de France, elle ne peut la supprimer dans tous les ateliers de l’Europe : voilà donc un règlement qui peut porter un coup funeste à l’industrie nationale, livrer le marché aux peuples voisins. Si vous dites : On prendra plus d’ouvriers, et on fera ainsi avec plus de bras le même travail ; avez-vous donc, répondrai-je, tant de bras inoccupés ? Et n’est-ce pas plus souvent le travail qui manque aux bras que les bras au travail ? D’ailleurs le métier, la machine représente un capital fixe, qui doit produire en raison de sa valeur ; il faut que le travail dont elle est le moteur ou l’auxiliaire couvre d’abord les intérêts du prix qu’elle a coûté ; le bénéfice proprement dit ne commence qu’ensuite : l’heure que vous supprimez représente peut-être à elle seule tout le bénéfice du commerce. Ce peu de mots suffit pour faire entrevoir la multiplicité des conséquences qu’entraîne un seul règlement, et le plus simple de tous.

Voici encore un autre exemple, qui a d’autant plus de force, à mon avis, que la réglementation dont il s’agit peut paraître au premier abord inspirée par le désir d’arracher certains ouvriers à la misère. L’ouvrier, dit-on, ne peut faire crédit de son temps : il faut donc lui assurer le moyen d’avoir des avances. Il existe pour cela une disposition légale : c’est l’inscription au livret, donnant au maître qui a fait l’avance les droits de créancier privilégié. Mais sait-on bien la conséquence de ce règlement en apparence favorable ? C’est