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de Sévigné, saisissant le comique à la volée, sur le mot comme sur la chose, se prenant à tout, même au nez du marguillier, aventureux décidé à tout oser, et osant presque toujours avec bonheur. Que parlez-vous de convenance, de délicatesse et de choix ? Il faut, il le dit lui-même,


Il faut, comme un torrent, que sa veine ait son cours !


On devine aisément quelle pouvait être la langue de Regnard ; c’est celle qu’a recommandée Malherbe sans jamais s’en servir, que nos esprits les plus francs ont parlée sans vergogne, populaire, risquée, et volontiers égrillarde. Pour Regnard, il n’y a qu’un mot qui serve, et il l’emploie toujours ; il n’était pas né pour rien sous les piliers des Halles.

Il ne manque à son style, comme à ses personnages ; que l’accent de la passion et de la tendresse, et cela tient au caractère de sa gaieté. Regnard a cette bonne humeur inaltérable, qui est à l’esprit ce que la santé est au corps, et s’il est vrai que la gaieté, vice ou vertu, soit essentiellement française, aucun écrivain n’est plus français que lui. Son rire ne ressemble à nul autre ; ce n’est pas le rire médité de Molière, le rire indécis de Destouches, le rire précieux de Marivaux, le rire mordant de Voltaire : c’est le rire franc et spontané d’un homme qui s’amuse évidemment le premier de ses folles inventions. On chercherait en vain le mot triste dans son théâtre ; pour Regnard, tout prête à rire, même les testamens, les notaires, et la mort ; la gaieté, coûte que coûte, est son trait propre et distinctif, on pourrait dire le démon de son esprit, car il la possède moins qu’il n’en est possédé. Elle allait toujours croissant, et ses dernières pièces sont les plus joyeuses et les plus folles. Il y jette à pleines mains le sel le plus gros, les propos les plus verts, les équivoques les plus transparentes, les mots à double entente et trop facilement entendus. À cet égard il remonte au-delà de Molière et retourne presque jusqu’à Rabelais, Verville et Brantôme. Ses apothicaires aux noms trop bien appropriés, et dont celui de Clistorel n’est pas le plus significatif, certain madrigal heureusement perdu dans un coin de ses pièces italiennes, certain sonnet dont la chute ne se pourrait honnêtement citer, dépassent assurément la bonne humeur permise, et touchent à la débauche d’esprit. On est étonné des libertés de la comédie à cette époque ; plus les temps devenaient tristes et les désastres s’accumulaient, plus la comédie se donnait carrière et s’évertuait en gaietés étourdissantes. « Il faut bien que l’on rie quelque part, » disait mélancoliquement Louis XIV.

Mais, sans trop parler de ce qu’elle coûte parfois au bon goût et à