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Pour arriver, à ses fins, Elisabeth Farnèse eût mis le feu au monde ; elle briguait toutes les alliances, favorisait le prétendant anglais, attisait les velléités guerrières du roi de Prusse, et allait jusqu’au nord faire appel à l’intervention de Pierre le Grand et de Charles XII de Suède : tout cela pour frayer à ses enfans don Carlos et don Philippe le chemin vers un trône. Elisabeth Farnèse est assurément une des figures curieuses, de ce temps. L’empereur Charles VI nourrissait, lui aussi, sa pensée et son ambition. Ce n’était pas un prince d’un ordre supérieur ; mais il était singulièrement opiniâtre, et il avait sa grande et unique préoccupation qui était d’assurer par une sorte de concert diplomatique l’hérédité de la couronne à celle qui devait être Marie-Thérèse. Il eût fait la guerre à tout le monde pour imposer la reconnaissance de la pragmatique sanction, et en poursuivant ce but à outrance, il n’oubliait pas d’étendre la domination impériale en Italie, où il rencontrait l’ambition agitatrice d’Elisabeth Farnèse, et où il trouvait un autre adversaire à Turin.

Là vivait aussi un des personnages importans de l’époque. Ce n’était plus Victor-Amédée II, qui disparaissait bientôt de la scène par son abdication ; c’était son fils, Charles-Emmanuel III, le héros même de M. Carutti. Victor-Amédée se défiait beaucoup de ce fils, qui paraissait tout d’abord peu fait pour continuer la politique paternelle. Charles-Emmanuel était dans sa jeunesse faible de santé, lent d’intelligence, dépourvu de tout attrait extérieur, timide, sérieux ; il ne parlait que par monosyllabes. C’était en tout l’opposé de son père. Cette nature finissait par se débrouiller cependant, et ce jeune homme, qui semblait devoir laisser dépérir entre ses mains la fortune de la maison de Savoie, arrivait bientôt à être un des princes les plus remarquables de cette vigoureuse race de soldats et de diplomates. Autant que tous les princes de sa famille, il avait l’instinct militaire, et il n’avait pas moins qu’eux ce grand art politique qui consiste à saisir les occasions. Quant à la souplesse d’évolution dans les alliances, il l’avait en quelque sorte dans le sang, non sans conserver toutefois une secrète prédilection pour la France.

Dès son avènement, Charles-Emmanuel III trouvait d’ailleurs dans son conseil un de ces serviteurs comme la maison de Savoie en eut quelquefois, un de ces hommes qui, par leurs facultés, semblent faits pour une scène plus vaste : c’était le marquis d’Ormea, un des politiques les plus éminens du Piémont. Le marquis d’Ormea, qui de son nom de famille s’appelait Vincenzo Ferrero, avait occupé dans sa jeunesse une place obscure de juge à Carmagnola. Un jour, pendant la guerre de la succession d’Espagne, à l’époque du siège de Turin, Victor-Amédée, passant par Carmagnola, avait remarqué ce jeune homme, dont la fortune fut faite dès ce moment. Le marquis d’Ormea avait été chargé des plus grandes affaires, des