Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chancelier de l’échiquier n’était pour rien dans la clôture de l’échiquier. En même temps, comme il ne pouvait plus garder cet emploi sous lord Clifford, il devint, sans jamais avoir paru au barreau, lord-chancelier d’Angleterre.

Il ne conserva pas ce titre trois mois. Il siégeait dans un cabinet rempli de ses ennemis ; mais, quoiqu’il y commît l’inconcevable faute d’appliquer en propres termes le delenda Carthago à la Hollande, en haranguant pour le roi les deux chambres, il sut persuader aux Hollandais eux-mêmes, en les servant sous main, que ce langage officiel était celui du prince et non pas le sien, et quand il sortit du ministère, le public pensa que l’intérêt protestant et national perdait son principal défenseur. En effet, comme pour ménager son passage du pouvoir à l’opposition, il avait eu soin, malgré ses idées de tolérance, de fortement appuyer contre ses collègues l’acte du Test dont le but était d’exclure des fonctions publiques quiconque croyait à la transsubstantiation : mesure singulière, destinée à devenir une institution respectée pendant cent cinquante ans. Elle fut une des causes de la dissolution du cabinet ; toutefois elle servit à Shaftesbury à en sortir par la porte du côté populaire. Il avait eu le temps de faire Locke secrétaire pour la présentation aux bénéfices ecclésiastiques ; mais Locke se retira avec lui, quoiqu’il gardât sa place au conseil du commerce jusqu’en 1674.

L’opposition devenait l’asile naturel de Shaftesbury. Il en connaissait les ressources et les allures ; il s’y porta avec autant d’énergie que d’habileté. Il suggéra aux communes le projet d’un nouveau bill pour la garantie de la liberté individuelle ; une prorogation subite empêcha le bill de devenir loi de l’état, et le parlement ne fut pas de longtemps réuni. Quand il rentra en session, il eut à débattre de tout autres mesures. Un bill fut proposé contre les personnes mal affectionnées au gouvernement, bill qui prescrivait comme un dogme la doctrine de l’obéissance passive, et qui fut par l’opposition traité d’inconstitutionnel. Malgré l’énergique résistance de lord Shaftesbury, il finit pourtant par passer dans les deux chambres, non sans soupçon de corruption. L’opposition avait pourtant montré une grande vigueur ; l’opinion était irritée contre les catholiques et l’appui qu’ils trouvaient à la cour. Shaftesbury, en insistant pour l’appel d’un parlement nouveau, parvint à provoquer un conflit entre les deux chambres, et le roi recourut à l’expédient habituel d’une prorogation dont le terme parut indéfiniment reculé.

Dans le cours de ces luttes politiques, Shaftesbury fut obligé de s’adresser plus d’une fois à la presse pour le défendre et pour éclairer l’opinion. Malgré son rare talent de discussion, il était moins écrivain qu’orateur ; il employa donc la plume de Locke, surtout