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monnaie, le louer de tout en un mot, excepté de sa philosophie : il était philosophe lui-même.

En 1672, lord Ashley fut nommé président du conseil du commerce, institution qu’il avait fait lui-même établir quelque temps auparavant, en représentant au roi que le commerce, devenu une des grandes affaires de l’état, méritait de composer une branche spéciale de l’administration. L’idée était alors nouvelle, et cette présidence est une charge qui, encore aujourd’hui, donne entrée dans le cabinet à celui qui l’exerce. Dès qu’Ashley en fut revêtu, il nomma Locke secrétaire du conseil, aux appointemens de 500 livres sterling. Il semblait alors au faîte de la faveur. Il venait d’être élevé au rang de comte de Shaftesbury, et la baguette blanche de grand-trésorier lui était offerte à la sollicitation de ses adversaires eux-mêmes. Le poste était vacant depuis la mort de Southampton (1667), et la trésorerie était gérée par une commission dont le chancelier de l’échiquier était un simple membre. Quoique Shaftesbury fût un des cinq de cette cabale fameuse[1], qui depuis quelques années passait pour maîtresse des affaires, il avait de trop bons yeux pour ne pas voir où la politique régnante avait amené le gouvernement. Il savait quelles influences peu déguisées dominaient tout, quelles secrètes vues dirigeaient le roi et son frère, et ce que commençait à en penser l’Angleterre. Il prévoyait le jour où l’intérêt même de l’état commanderait une rupture avec la cour. Ce n’était donc pas le moment d’accepter la responsabilité du gouvernement tout entier et de recueillir pour soi-même toute l’impopularité dès dernières fautes. Voyant le piège que lui tendaient ses ennemis, il y sut échapper : il déclina l’honneur du premier rang, ou mit son acceptation à des conditions qui l’assuraient d’un refus ; il s’absenta même de Londres pour se dérober à de nouvelles instances. Il connaissait l’état des finances : l’échiquier était vide, et dans cette extrémité on n’avait eu d’autre ressource que de le fermer, c’est-à-dire de suspendre les paiemens de l’état. Shaftesbury, tout en admettant peut-être la nécessité de ce honteux expédient, avait eu l’adresse de ne le pas conseiller, d’y résister même, et d’en laisser l’initiative et la disgrâce à sir Thomas Clifford, qu’il réduisit ainsi à se laisser nommer pair et lord-trésorier. C’était un homme dévoué au duc d’York, par conséquent, dans l’opinion générale, au papisme ; il eut pardessus le marché l’odieux d’une banqueroute, et Shaftesbury écrivit à Locke, dont la réputation de probité et de sagesse lui servait comme de caution, une lettre ostensible où il lui démontrait que le

  1. Cabal, des premières lettres de ces cinq noms : Clifford, Arlington, Buckingham, Ashley, Lauderdale.