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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/270

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ne sont point inutiles non plus pour s’attacher la jeune duchesse de Bourgogne, et le récit en est accueilli par un sourire favorable dans le sanctuaire de Mme de Maintenon. La princesse des Ursins est d’ailleurs trop bien apprise pour faire payer en argent par le roi la haute faveur qu’elle vient de recevoir ; elle est aussi fière que gueuse[1]. Puis chaque chose a son temps ; lorsqu’on vient d’acquérir l’arbre, on peut se montrer moins pressée d’en cueillir les fruits.


II

Ce fut donc dans un appareil quasi royal que Mme des Ursins s’achemina vers la princesse de Savoie pour la conduire à son époux. Elle avait alors cinquante-neuf ans, selon le plus grand nombre de ses biographes, et soixante-deux, d’après quelques autres. Façonnée par une représentation continuelle et par l’usage du plus grand monde, elle conservait, sous l’éclat à peine voilé de sa beauté, les manèges les plus étudiés de la coquetterie, car de la jeunesse elle avait tout encore, excepté la simplicité. Marie-Louise de Savoie, que sa camarera mayor rencontra sur sa galère à Villefranche, au moment où les yeux humides de la princesse jetaient un dernier regard sur la terre d’Italie, était cette admirable reine dont le malheur épuisa la vie à défaut du courage, et dont le nom populaire est demeuré en Espagne le symbole de toutes les vertus royales et domestiques. N’ayant pas quatorze ans accomplis, la princesse était aussi grande que la duchesse de Bourgogne, sa sœur aînée, dont elle avait la taille parfaite, avec une figure plus régulière et un abord d’un charme incomparable. Souriante au milieu de sa tristesse, respirant à la fois la douceur et la majesté, et en toute occasion faisant la reine à merveille, elle frappa d’étonnement durant son voyage toutes les personnes admises à l’honneur de l’approcher[2].

Ces deux femmes, que la nature avait faites si dissemblables, allaient être unies pour jamais par une destinée commune. La jeune reine parut incontinent frappée du support qu’offrirait à sa faiblesse un esprit si souple et si vigoureux, et lorsque le départ de ses femmes piémontaises eut arraché à cette enfant la dernière image de la famille et de la patrie, elle s’attacha à sa grande camériste comme

  1. Lettre à la maréchale de Noailles du 21 juin 1701.
  2. « Tout ce qui a pu vous revenir de son esprit, écrit à Mme de Maintenon le duc de Gramont, chargé de tracer de la princesse un portrait d’après nature, est de beaucoup au-dessous de ce que j’ai pu voir et entendre. La reine d’Espagne est ce qui s’appelle, dans le plus exquis, une personne fort extraordinaire, et vous pouvez tabler sur ce portrait. » Manuscrit du dépôt de la guerre cité par M. Combes. Voyez aussi le t. II des Mémoires de Noailles et les Mémoires de Louville, t. Ier, ch. VIII.