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victoire et poursuivi par la vengeance de l’Europe ; pour prix du sang et des trésors chaque jour réclamés de l’Espagne, elle put montrer le roi de France apportant en partage à ce pays toutes les haines et tous les périls accumulés sur lui-même, et possédé de la secrète pensée de désarmer la coalition en démembrant les états de son petit-fils, peut-être même en les abandonnant, afin de sauver les siens. Comment un trône nouveau, occupé par deux enfans, n’aurait-il point été menacé lorsque des circonstances fatales plaçaient de pareilles armes aux mains de ses ennemis ? Les grands firent donc éclater plus librement leur dévouement pour l’archiduc sans cesser toutefois de se montrer assidus à la cour et de vivre de ses bienfaits. S’ils n’imitèrent pas résolument la félonie de l’amirante de Castille, ambassadeur désigné de Philippe V à Paris, du marquis de Leganez, gouverneur de l’Andalousie pour ce prince, du duc de Medina-Cœli, le membre principal de son conseil, presque tous, en faisant concorder les profits du présent avec les chances de l’avenir, se préparèrent pour une restauration autrichienne qui, de 1705 à 1710, put en effet être considérée comme probable.

Aussi antipathiques à un gouvernement gallican que les grands à une royauté centralisée, les évêques espagnols se montrèrent en majorité peu favorables à la dynastie française avant que les batailles d’Almanza et de Villa-Viciosa n’eussent par deux fois raffermi sa fortune. Parmi les raisons qu’on pourrait apporter d’une hostilité plus générale encore dans les ordres religieux, il faudrait mettre en première ligne la faveur accordée par Louis XIV et par son petit-fils à la compagnie de Jésus, en possession du confessionnal de ces deux princes. Les rivalités monastiques étaient la plaie invétérée de l’église d’Espagne : aussi, malgré la ferveur de sa piété et les ménagemens parfois risibles de sa prudence, Philippe V ne parvint-il point à la guérir, bien que, selon le conseil de Louville, il n’allât jamais à la messe chez les jésuites sans aller à vêpres chez les dominicains.

À ces embarras venaient se joindre, pour les transformer en périls, les aspirations contraires des diverses nationalités, car le défaut d’hégémonie n’était pas moins sensible alors au-delà des Pyrénées qu’il peut l’être aujourd’hui au-delà du Rhin. Tandis que l’enthousiasme qui avait accueilli la royauté nouvelle se refroidissait dans les provinces éloignées, la Castille continuait à professer pour elle un dévouement que l’épreuve du malheur ne tarda pas à confirmer. C’est que le parti castillan avait compté sur l’appui de la France pour dominer la Péninsule, et que son attachement était cimenté par ses haines. Le cardinal Porto-Carrero, son chef, à qui le duc d’Anjou devait, après Dieu, sa couronne, aimait moins les