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espagnole, pour laquelle Philippe V était résolu à mourir. D’un côté, la jeune mère qui venait de lui confier l’éducation d’un fils conçu dans la douleur en appelait à son attachement et à son courage, — de l’autre, Mme de Maintenon, dont l’unique souci était d’assurer le repos de Louis XIV, en arrachant une à une toutes les épines de sa couronne, lui rappelait qu’elle était née Française et qu’elle devait trop au roi pour conserver le droit de le contredire. Une sujette de Louis XIV oserait-elle combattre à Madrid les plans arrêtés à Versailles ? La gouvernante de l’héritier de la couronne d’Espagne concourrait-elle par ses conseils à dépouiller l’enfant dont elle recevait les premières caresses ? Mme des Ursins ne pouvait se dérober que par un prompt départ aux difficultés d’une pareille alternative. Les faits constatent qu’elle le comprit et qu’elle était pleinement résolue à quitter l’Espagne vers la fin de l’année 1709 : le désespoir de la reine, dont la santé inspirait dès lors de trop légitimes inquiétudes, l’empêcha seul de suivre un projet qui lui souriait plus que tout autre dans la tristesse profonde où la jetaient les résolutions de la France.

Mme des Ursins n’eut pas plus tôt pris le parti de demeurer sur le théâtre des événemens, et de soutenir de toute son énergie le roi d’Espagne dans les voies généreuses où l’engageaient sa conscience et le vœu national, qu’elle se précipita tête baissée dans la mêlée, ne ménageant plus rien du côté de la France, et brûlant ses vaisseaux avec une audace dont ses molles habitudes semblaient l’avoir rendue incapable. Son style se transfigure et s’élève avec son rôle et son caractère : ses lettres froides et polies se colorent des mille reflets de la passion. En reprochant à Mme de Maintenon de préférer la tranquillité du roi à son honneur, elle lui décoche des traits qui, pour être élégans, n’en sont pas moins acérés ; ce sont parfois d’affectueux reproches, ce sont plus souvent encore les bonds inattendus d’une colère magnifique. L’écrivain se révèle alors sous la femme du monde, et l’on sent que dans cette vie compassée le cœur a pour un moment triomphé de l’esprit[1].

Mme des Ursins se mit donc sans hésiter à la tête du mouvement national, cherchant à faire sortir le salut de l’Espagne de l’abandon même où la France laissait cette monarchie. Sans rompre ses relations confidentielles avec ses correspondans ordinaires de Versailles, elle les enveloppa du voile le plus épais, ne songea plus qu’à stimuler le patriotisme castillan, paraissant tout adopter de l’Espagne, depuis ses coutumes populaires jusqu’à ses haines et ses préjugés. À l’aide d’un sombrero et d’une golille, don Luis d’Aubigny

  1. Voyez surtout dans les lettres à Mme de Maintenon celles du 18 juillet, 26 août, 15 septembre, 23 décembre 1709.