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science des doctes était fausse, et celle des ignorans était nulle.

Les maux de la société ne sont pas sans remède, et la raison en est le grand médecin. Cette pensée a également inspiré la politique de Locke, et ses principes sur l’organisation et les droits du gouvernement ne sont pas d’un homme qui renonce au perfectionnement des lois et des institutions. On sait qu’il admet la théorie d’un contrat primitif, fondement de la société politique, et cette théorie a dans ces derniers temps rencontré nombre d’adversaires. Sans doute elle a servi à étayer beaucoup de fausses et dangereuses idées, et il semble que Rousseau, cette fois encore imitateur de Locke, lui ait en la renouvelant porté le coup mortel. Elle aurait ainsi, comme tant de choses, péri par ses excès. Cependant elle se présente si naturellement à l’esprit, elle peut s’appuyer sur des antécédens si respectables, qu’on ne saurait la rejeter avec dédain[1]. Comment en effet n’en pas reconnaître quelque trace dans cette alliance qui fut comme la base de la constitution du peuple juif ? Si son gouvernement était, ainsi qu’on le nomme, une théocratie, la théocratie elle-même se serait donc fondée sur un pacte. Ce n’est pas nous, c’est l’Écriture qui dit que Dieu s’est engagé. Quand les lois, se dressant sur le seuil de la prison de Socrate, lui tinrent le sévère discours qu’il racontait à Criton, elles lui rappelèrent la convention qui, elles et lui, les soumettait au jugement d’Athènes. L’idée d’un pacte social de la république, textuellement nommé par Démosthènes, a passé des ouvrages d’Aristote dans le droit romain. Les modernes l’ont recueillie, et elle se retrouve dans Grotius et dans Hobbes. Ce dernier surtout l’a poussée à ses dernières limites pour en abuser avec excès, car l’excès lui plaisait comme à tout logicien absolu. Locke n’indique nulle part qu’il ait voulu ni suivre ni rectifier Hobbes ; ce qu’ont dit les autres lui importe peu, et l’idée d’un contrat entre le pouvoir et la société l’aurait moins touché, je suppose, s’il ne l’avait trouvée que dans les livres. Ce n’est guère là qu’il cherchait ses principes ; or celui-ci se lisait ailleurs, et les communes de l’Angleterre avaient écrit dans l’acte le plus mémorable que le roi Jacques II avait rompu le contrat originel entre le roi et le peuple. C’était là pour Locke une bien autre autorité que le nom d’Aristote ou de Sidney ; elle valait mieux que toutes les philosophies du monde. Il faut avoir présent ce grand souvenir historique en jugeant son ouvrage.

Quant à la doctrine du contrat, ceux qui la combattent se donnent trop aisément gain de cause, en supposant toujours qu’on invoque ce pacte comme s’il eût jamais existé à l’état de convention écrite

  1. Voyez sur ce sujet les observations de sir G. Lewis, Method. in Politics, ch. X, 12.