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ou verbale, comme s’il avait pour fondement quelque antique événement oublié, mais certain. C’est une supposition à laquelle des publicistes se sont laissé aller sans doute ; mais il est injuste et tentant de les en accuser tous pour les convaincre sans grand’peine de chimérique hypothèse. Il est trop évident que les fastes de l’humanité montrent peu de nations délibérant sur l’établissement tant de l’ordre social que de l’ordre politique. S’ensuit-il que partout où des droits divers sont en présence, où le maintien et l’accord n’en est assuré que par une limitation respective et par des obligations réciproques, la raison interdise de supposer, de déclarer même que le cas est identique à celui d’un engagement bilatéral, sans prétendre par là que cet engagement ait été tracé ni prononcé ? Les devoirs de la nature eux-mêmes, quand ils sont mutuels, équivalent à un contrat moral, et où serait l’erreur d’assimiler à un contrat naturel la relation du père et des enfans ? Cette expression n’est pas plus un mensonge que le nom de loi donné à la règle non écrite, à la vérité impérative, qui subsiste et règne dans l’humanité comme principe de la morale universelle. Quand on la veut retrouver, cette loi, on la cherche dans la conscience et dans la raison ; on s’enquiert moins de ce qu’elle a prescrit que de ce qu’elle prescrirait à une âme honnête et éclairée, et dans cette recherche hypothétique on croit déchiffrer un texte immortel. De la même façon, pour assigner les conditions auxquelles sont respectivement soumis les souverains et les peuples, il semble fort permis de rechercher quel aurait été le traite que leur eût dicté un arbitre suprême, quelles stipulations auraient été convenues entre eux s’ils eussent été libres, justes et éclairés, et si l’établissement social et politique avait pu être soumis à l’examen de la raison. Voilà l’origine et le fondement de la théorie du contrat. C’est d’un contrat de droit et non de fait qu’il s’agit ; c’est d’un contrat idéal, et nier l’idéal, ce serait affranchir la réalité de toute règle.

On ne saurait cependant contester que Locke, qui avait déjà employé cette théorie dans ses lettres sur la tolérance pour limiter les droits du législateur sur la conscience individuelle, ne s’y soit complu de nouveau dans son traité du gouvernement, au point d’oublier, au moins en apparence, que cette fiction devenait un mensonge dès qu’on semblait l’ériger en fait inconnu d’une histoire primitive. Il raisonne quelquefois sur l’état de nature comme sur une époque dont on pourrait par induction reconstruire le récit, et quoiqu’il soit impossible qu’un esprit aussi défiant, aussi positif que le sien, prît au pied de la lettre de telles hypothèses, elles l’entraînent par instans : ce grand ennemi des abstractions réalisées s’y laisse séduire cette fois, sans s’apercevoir qu’il n’est pas plus