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Elle se nommait Marinette, et tous lui obéissaient avec une soumission aveugle.

Rien ne me parut plus triste que le genre de vie imposé à la comtesse. Il y avait dans cette sorte de réclusion un mystère qui n’eût pas embarrassé longtemps un homme plus habitué au monde que je ne l’étais ; mon éducation romanesque et mon ignorance des passions humaines ne me permirent pas de deviner la cause de l’éloignement qui existait entre ces deux époux. J’eusse volontiers comparé la comtesse à Camille, l’héroïne du souterrain, n’eût été l’élégance de la chambre où elle était confinée et les égards que lui témoignait le comte.

Leur histoire n’avait pourtant rien de tragique. M. d’Asparens s’était marié tard. Après avoir abandonné Zulmé, il avait fait encore un long bail avec le célibat. Il était pour toutes les classes de la société, principalement pour celles où l’on prise la force, ce qu’on appelle un bel homme. Il aimait l’agriculture avec passion, et vivait toujours au milieu des paysans. Les amours faciles ne lui manquèrent pas. Parmi les filles qui attirèrent momentanément son attention, il y en eut une qui sut prendre quelque empire sur lui : c’était Marinette. Elle n’avait que seize ans lorsqu’il la trouva dans une auberge sur les bords de la Garonne. Elle était d’une grande beauté, et s’éprit de son maître, qui la garda d’abord par pitié et ensuite par habitude. Elle avait d’abord été soumise comme un chien de chasse ; mais insensiblement elle s’était emparée de l’autorité, si bien qu’il ne fallait pas beaucoup de pénétration pour deviner que lorsque le comte commencerait à vieillir, elle deviendrait la maîtresse absolue à Asparens. Le comte en convenait gaiement, prétendant que tel était le sort inévitable de tous les célibataires. Il faillit cependant donner un démenti à sa propre prédiction : il se maria et congédia Marinette, après lui avoir donné une assez grosse somme d’argent. Ce mariage fut l’objet des conversations de tout le département pendant plus de six mois. Si beau qu’il fût encore, le comte d’Asparens avait près de cinquante ans, et il épousait une jeune Parisienne qui, disait-on, était immensément riche. Il était assez difficile de trouver le motif qui l’avait porté à bouleverser ainsi sa vie. Sa grande position territoriale, ses innovations agricoles, son caractère généreux et obligeant, l’avaient fait nommer conseiller-général. L’ambition lui était venue : il espérait être nommé député. Il pensa qu’il était utile, dans l’intérêt de sa considération personnelle, d’abandonner les amours ancillaires et champêtres, et de faire amende honorable à la société à l’aide d’un riche mariage. La dot considérable qui était promise à Mlle Hortense Moulin fut aussi pour lui une raison puissante. Il se maria donc. À cette