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et ses habitans. En même temps je voyais sa tristesse et sa pâleur s’augmenter. Je ne devinais pas le combat qui se livrait en elle, je la pressentais plus malheureuse et je l’aimais davantage. Un soir, après un dîner auquel le comte n’avait pas assisté, je montai avec elle dans sa chambre ; le ciel était gris et sombre ; il faisait un de ces temps maussades qui portent à la mélancolie. Je lui proposai de lire des vers, d’achever Rob-Roy, de faire de la musique ; elle répondit qu’elle n’avait de goût pour rien ; elle s’assit auprès de la fenêtre, et, s’accoudant sur le fer du balcon, elle regarda la cime des arbres du parc que le vent de mer faisait ondoyer. Je restai debout auprès d’elle, suivant ses regards et essayant de deviner les pensées qui l’attristaient. Tout à coup deux grosses larmes débordèrent de ses yeux distraits et coulèrent lentement sur ses joues. Je n’y tins plus ; je me jetai à ses genoux et je pris sa main… Sur mon honneur, aucune pensée coupable n’agitait mon esprit : je voulais seulement la supplier de me dire quelle était la cause de ses larmes, et lui jurer un dévouement éternel. Je n’eus pas le temps de prononcer une parole ; la porte de la chambre s’ouvrit, et le comte entra : il était fort pâle. D’une voix impérieuse et émue il me dit : Sortez ! Je me levai, je regardai la comtesse ; elle n’avait rien perdu de son calme et de sa dignité ; elle jeta sur son mari un regard dédaigneux. — Oui, mon ami, sortez, me dit-elle. Je quittai la chambre ; je descendis lentement, écoutant si je n’entendrais pas quelque cri de désespoir. Il me sembla que j’aurais dû rester après d’elle pour la protéger. Je m’arrêtai dans la cour en proie à une vive anxiété, et, ne sachant ce que je devais faire, lorsque la voix de Marinette vint mettre fin à mon indécision. — Le cheval de M. de Mombalère est sellé, me dit-elle avec un accent de raillerie indéfinissable. On me mettait à la porte.


V

Ce qu’il me restait de mieux à faire était de revenir à Mombalère. Je ne pus cependant me décider à quitter immédiatement les environs du château. Alphane ne comprenait rien à ma conduite ; il était tout prêt à reprendre gaiement le chemin de ses maigres bruyères, et pendant toute la nuit je le contraignis d’errer par des chemins inconnus. Un seul instant je le laissai reposer, je l’attachai à un arbre, et j’escaladai le mur du parc. Me glissant dans les allées les plus sombres, j’arrivai jusqu’à la limite des massifs et j’examinai avec anxiété les fenêtres du château. Toutes ces fenêtres étaient sombres ; aucune silhouette ne vint trahir la réalité du drame que mon imagination malade me représentait, et qui fut ma torture de