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renfermer. Nul sujet ne prête plus à l’illusion. Il semble vraiment que depuis que la vapeur est trouvée, l’Angleterre nous appartient, et que si nous ne l’occupons pas, c’est que nous y mettons une discrétion extrême. Des deux côtés du canal, il y a des gens, et en grand nombre, qui nourrissent ce sentiment, les uns pour s’en enorgueillir, les autres pour s’en alarmer. L’orgueil, on le conçoit, nous y sommes prompts ; mais les alarmes, on ne se les explique guère de la part d’un peuple sensé comme l’est le peuple anglais. Encore moins peut-on concevoir que de l’autre côté du détroit des écrivains sérieux aient imaginé un plan d’invasion dont le point de départ serait l’anéantissement complet des forces navales anglaises. Après s’être exécutés ainsi de leurs propres mains, ils montrent en perspective à leurs lecteurs une armée de 200,000 Français débarquant en quatre corps, l’un de 50,000 hommes mettant pied à terre entre Torquay et Darmouth, un second de même nombre à Harwich ou sur quelque autre plage du comté de Suffolk, un troisième entre Shoreham et Chelsea, un quatrième enfin sur un point à déterminer : puis ils indiquent à ces quatre corps une marche convergente sur Londres, où l’armée entière arriverait tambour battant et enseignes déployées par les vieilles routes de Bath et d’Oxford. Si tout cela est débité sérieusement, il faut bien compter sur la crédulité publique ; si c’est une raillerie, elle n’est pas du meilleur goût.

La vapeur ! il faudrait pourtant s’entendre là-dessus, savoir ce qu’elle vaut et écarter les chimères. Qu’elle puisse jeter à l’improviste plusieurs milliers d’assaillans sur un rivage dégarni, cela est hors de doute pour les hommes du métier. Avec la mobilité qui la rend si redoutable, il est facile de faire revivre, en pleine civilisation, ces surprises à main armée qui ont marqué les temps barbares, ces expéditions où les pirates normands et les forbans algériens portaient de rivage en rivage la dévastation et l’épouvante. C’est un genre d’exploits qui est redevenu possible et qui s’aggraverait de nos jours par les facilités de la navigation. Seulement il n’est l’apanage d’aucune race ni d’aucune nation ; toutes pourraient à l’envi exercer cet odieux abus de la force. Ainsi, pendant que nous irions insulter et ravager les côtes du pays de Galles, les Anglais pourraient en faire autant sur un point de notre golfe de Gascogne ou du pertuis breton. Un excès en amènerait un autre, les surprises s’engendreraient, et l’on marcherait de représailles en représailles jusqu’à ce qu’un nouveau droit des gens vînt apporter un terme à ces violences de flibustiers. Voilà dans quel sens et dans quelle limite la vapeur fournit un instrument sûr et nouveau ; elle permet des descentes faciles suivies de prompts rembarquemens, des coups de main accomplis par des hommes déterminés. À l’honneur des marines militaires, il faut croire qu’aucune n’usera désormais de tels