Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Telle est l’origine d’une de nos plus importantes cultures coloniales, dont les progrès ont été constatés par les remarquables produits envoyés à l’exposition universelle de 1855[1]. Toutefois ces progrès avaient été longtemps contrariés par des circonstances heureusement disparues. D’autres cultures, plus profitables en apparence, absorbaient l’attention, les soins et les capitaux, parfois trop rares, des propriétaires. Ainsi, tant que la production du sucre fut sans rivale, elle s’étendit même sur les terrains reconnus depuis comme peu favorables à la culture des plantes saccharines. Aujourd’hui la situation n’est plus la même. La production des sucreries indigènes et coloniales récentes dépasse pour le moment l’ensemble de la consommation métropolitaine. Sans doute la consommation du sucre, nous en avons l’espoir, deviendra de plus en plus considérable et se mettra au niveau de cette production ; mais il n’en reste pas moins inopportun et peu avantageux de multiplier sans réflexion les plantations de cannes. Il importe surtout de varier les cultures, et parmi les produits coloniaux qu’on peut obtenir avec avantage sur les terrains peu favorables aux cannes, on doit citer en première ligne le café. Il est constant en effet que la consommation du café en France a suivi une progression ascendante depuis trente ans[2]. Comment ne pas reconnaître d’ailleurs la nécessite de varier les cultures coloniales, quand on voit deux riches possessions, l’une française, l’autre anglaise, la Réunion et Maurice, réduites à se procurer par la voie du commerce maritime la farine, le riz, les fourrages consommés dans leurs importantes exploitations ?

Un fait remarquable, observé précisément dans l’île de la Réunion, toujours empressée à secouer le joug des anciennes méthodes en fait de culture et d’industrie coloniale[3], vient montrer combien

  1. La Réunion avait envoyé des cafés très bien préparés par M. David de Florès sous les dénominations de moka, eden et myrte, d’autres de Mme Lafitto, de M. Jallot, de Mme veuve Lossandière. Dans l’envoi de la Guadeloupe, les produite de M. Bonnet et ceux qui étaient présentés au nom de MM. Souque et Negré sa faisaient surtout remarquer. L’échantillon expédié de la Martinique par M. Le Lorrain offrait le type de ce café vert dont la forte saveur est si estimée en tous pays comme propre à rehausser certains autres cafés à odeur plus suave. Un produit de la Guyane française, adressé par M. Goudin et venu des terres hautes, offrait une singulière analogie avec le moka. Un autre café moins aromatique, recueilli sur les terres basses du quartier de Mana par les sœurs de Saint-Joseph, annonçait aussi une culture intelligente et soigneuse. Parmi lus produits nombreux des possessions étrangères, on remarquait surtout les belles collections présentées par le conseil des colonies portugaises et par la société néerlandaise de Java.
  2. La moyenne annuelle (entre les importations décennales), qui de 1827 à 1830 était de 17,327,684 kilos, s’est élevée de 1837 à 1846 à 24,400,119 kilos, et de 1847 à 1856 à 32,633,022 kilos.
  3. Rendre cet hommage à l’Ile de la Réunion, ce n’est que justice ; c’est aussi répondre à des susceptibilités qu’avait éveillées un passage mal interprété de notre dernière étude sur le sucre, et dont un délégué de cette colonie s’était fait l’organe auprès de nous. En racontant la disparition mystérieuse de l’un des plus entreprenans manufacturiers de l’île, M. Vincent, nous ne croyions avoir laissé planer aucun doute sur les grands propriétaires de la Réunion, qui, loin d’être hostiles à l’esprit de progrès, accueillent avec une sympathie intelligente tous les procédés nouveaux.