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arôme et ne renfermant d’ailleurs en réalité que de la chicorée pure, parfois cependant de qualité très douteuse[1].

Pendant de longues années, toutes ces falsifications ont été plus ou moins tolérées, faute de preuves ou de moyens de déceler la nature ou les proportions des mélanges ; mais enfin l’autorité administrative en France et une honorable association de médecins et de chimistes à Londres ont fait examiner et soumettre à l’analyse tous ces cafés entachés de falsification. Bientôt on a pu découvrir ainsi une foule de mélanges et de recettes, qu’on ne pouvait deviner, sous les dénominations de moka, de café mitigatif de café fin au sel de Vichy, café toniah, café de glands doux, café Cézé, etc. L’analyse y a démontré les produits mélangés en proportions diverses de la torréfaction des racines de chicorée, de betterave, de carotte, du souchet comestible, du panais, des pois chiches, de l’orge ou du malt, du seigle, des féveroles, des haricots, des graines de lupin, de genêt, des marrons d’Inde, puis du caramel de diverses origines (sucres bruts, mélasses, etc.). Alors ont eu lieu des poursuites actives, suivies bientôt de résultats très positifs : c’est ainsi que depuis un an environ plus de cent cinquante condamnations plus ou moins sévères ont été prononcées contre un égal nombre de falsificateurs[2].

Tels sont les obstacles au milieu desquels la consommation du café en France poursuit une marche trop péniblement ascendante pour qu’on ne se préoccupe pas de les aplanir, au grand profit de l’industrie coloniale et de la santé publique. L’administration est déjà entrée dans une voie excellente en faisant, de concert avec le conseil d’hygiène et de salubrité, une guerre sérieuse aux falsificateurs, en exigeant que toutes les substances torréfiées fussent présentées au public sous leur véritable nom ; mais puisque ces substances

  1. Tout le monde a pu lire les annonces chaque jour reproduites de certaines imitations du café exotique, moins nombreuses aujourd’hui et pour cause. Toutefois quelques passages d’une notice de l’un de ces esprits fertiles en inventions grotesques nous paraissent offrir le sublime du genre. « Le café tel qu’il est présenté au public, y lisons-nous, contient, comme le tabac, tout le monde le sait, une espèce de principe toxique… » La conclusion, on la devine : « Donc vous accueillerez favorablement notre importante découverte, qui consiste à ôter au café la partie toxique, le principe acre et irritant… » Puis, comme le nom de ce bienfaiteur de l’humanité aurait pu paraître une insuffisante caution, il présente sans hésiter comme garans « les médecins de la faculté de Paris qui l’ont analysé… » S’il avait pu trouver une faculté plus haut placée, sans doute il se fût adressé à elle. Sans attendre cependant le témoignage des médecins de la faculté de Paris dont il avait oublié les noms, les tribunaux, loin d’accorder une récompense à l’inventeur, lui ont interdit de se livrer à l’avenir à de pareils frais d’imagination.
  2. Parmi ces dernières, plusieurs ont frappé quelques fabricans du produit vendu sous le nom de café de Chartres, non que cette industrie doive être absolument prohibée ; dans une certaine mesure, elle peut avoir sa raison d’être, mais au-delà elle a dû souvent, à Chartres comme à Paris, couvrir des fraudes, punies à bon droit par les tribunaux. Cette industrie, quand elle est loyalement exercée, repose sur un procédé qui développe dans le café véritable la coloration foncée, l’odeur et la saveur du caramel, agréables à beaucoup de personnes. Les auteurs ou les imitateurs du procédé de Chartres ont eux-mêmes tenté de rendre leur préparation plus économique en augmentant les proportions de sucre, en substituant aux sucres de belle qualité des vergeoises de qualité inférieure, même des mélasses de canne ou de betterave ; mais d’une part les cafés torréfiés avec 10, 15 et 20 de matière sucrée pour 100 de leurs poids étaient devenus excessivement hygroscopiques, et leur arôme subissait une altération notable lorsque les mélasses étaient substituées aux sucres. Puis, et ceci est plus grave, conservant pour eux tout le bénéfice de ces mélanges économiques, y ajoutant parfois en outre de la chicorée de deuxième qualité, c’est-à-dire le produit de la torréfaction des résidus terreux et altérés de l’épluchage des racines brutes, les préparateurs s’exposaient à être accusés de tromperie sur la nature de la marchandise vendue. Ces faits ont dû attirer l’attention de l’autorité ; bientôt après, vérifiés par des expertises certaines, ils ont donné lieu à quatorze poursuites simultanées et à douze condamnations judiciaires.