Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III.

Sa confession faite, Berthe fut soulagée d’un grand poids. Il lui sembla qu’elle pouvait penser à M. d’Auberive en toute liberté et sans remords de conscience. Son père lui avait fait promettre de ne rien changer à leurs relations, surtout de ne point laisser entendre à leur voisin qu’il avait été question de lui entre elle et M. Des Tournels. Il aimait assez sa fille, disait-il, pour ne point faire cas de la fortune, pour renoncer à d’autres projets, si nul obstacle grave ne s’opposait à ce qu’on élevât Francis à la dignité de mari. Il demandait seulement un peu de temps et le droit de réfléchir. Berthe n’en voulait pas davantage. Rassurée par ce langage et persuadée que son père ne découvrirait pas autre chose que ce qu’elle savait, elle se voyait déjà eu esprit châtelaine de Grandval et partagée entre son père et son mari. Elle s’étonnait seulement que Francis ne fût pas plus prompt à deviner que quelque chose d’important se passait ; elle le trouvait même maladroit dans sa tranquillité, et se promettait de l’en faire repentir quand son père aurait dit oui. En attendant que M. d’Auberive ouvrît les yeux, Berthe interrogeait souvent son père sur la nature des renseignemens qu’il avait pris. Le père ne s’expliquait pas nettement ; mais un mouvement de la tête, un mot jeté en passant, faisaient entendre que rien n’était compromis. Il paraissait même s’habituer à cette idée. — Hum ! dit-il un jour en glissant son bras sous celui de sa fille, on a été un peu longtemps jeune, on a croqué le vert et le sec, on a vécu comme la vieille cigale de la fable ; mais au fond on n’a pas l’âme si noire que la réputation… On verra, et si l’on s’amende, un matin nous aurons à causer… Mais ce matin-là n’est pas encore venu.

Pendant ces jours d’espérance, Berthe parlait encore moins à Lucile ; elle se cachait dans des coins sombres et passait de longues heures dans ces muettes contemplations qui ne surprenaient plus personne. Une sorte de langueur s’était répandue sur ses traits et en adoucissait l’expression. M. d’Auberive, retenu à Grandval par une force contre laquelle sa volonté ne pouvait rien, dînait une fois ou deux par semaine à la Marelle et tuait des perdreaux, en prenant chaque jour la résolution de partir pour Paris. À ce moment de sa vie, et secrètement, il cherchait un moyen d’utiliser ce qu’il avait de facultés, et il avait écrit dans ce sens aux directeurs de cette entreprise de charbonnage où était engagé tout ce qu’il avait de fonds liquides. — Elle verra du moins que je tiens parole, se disait-il.

M. Des Tournels, de son côté, n’avait pas reçu les confidences de